1 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 27 janvier 2021, 20-85.990, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 27 janvier 2021, 20-85.990, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
CHAMBRE DE L'INSTRUCTION - Mesure de sûreté - Existence d'indices graves ou concordants - Contrôle d'office - Portée
ANALYSE DE L'ARRET :
La décision de placement en détention provisoire prise en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale pour sanctionner l'inexécution volontaire par la personne mise en examen des obligations du contrôle judiciaire n'a pas à être motivée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences de l'article 144 du même code.
Il se déduit de l'article 5 1. c de la Convention européenne des droits de l'homme que la chambre de l'instruction statuant sur les mesures de sûreté doit s'assurer, à chacun des stades de la procédure, même d'office, que les conditions légales de telles mesures sont réunies, en particulier l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne, comme auteur ou complice, à la commission des infractions poursuivies.
Son contrôle sur ces indices, propre à la matière des mesures de sûreté, est sans incidence sur la validité de la mise en examen, laquelle ne peut être critiquée que dans le cadre des procédures engagées sur le fondement des articles 80-1-1 et 170 du code de procédure pénale.
L'obligation de constater l'existence de tels indices cesse, sauf contestation sur ce point, en cas de placement en détention provisoire sanctionnant des manquements volontaires aux obligations du contrôle judiciaire.
Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui, en l'absence d'une telle contestation, caractérise l'existence d'un manquement entrant dans les prévisions de l'article 141-2 précité et estime souverainement qu'il doit donner lieu à révocation du contrôle judiciaire
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 20-85.990 FS- P+B+I
N° 00202
GM27 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 27 JANVIER 2021
REJET du pourvoi formé par M. G... Y... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 15 octobre 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et non-justification de ressources, a révoqué son contrôle judiciaire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. G... Y..., et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 janvier 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, MM. de Larosière de Champfeu, Bonnal, Mme Slove, M. Guéry, Mme Ménotti, Mme Sudre, M. Maziau, Mme Issenjou, M. Turbeaux, Mme Labrousse, M. Seys, M. Dary, conseillers de la chambre, Mme Carbonaro, Mme Barbé, Mme de Lamarzelle, M. Violeau, M. Mallard, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. Y..., mis en examen des chefs précités le 12 septembre 2019, a été placé en détention provisoire, puis libéré sous contrôle judiciaire le 18 juin 2020, avec diverses obligations.
3. Le 2 octobre 2020, le juge d'instruction a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de révocation du contrôle judiciaire. À la suite du refus de ce magistrat, le procureur de la République a interjeté appel de la décision.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en sa quatrième branche
4. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé l'ordonnance entreprise, décidé de révoquer le contrôle judiciaire et ordonné le placement en détention de M. G... Y..., alors :
« 1°/ que la révocation du contrôle judiciaire emportant détention provisoire, elle ne peut être prononcée qu'après qu'il eut été constaté qu'elle est l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs énumérés à l'article 144 du code de procédure pénale ; qu'en ordonnant la révocation du contrôle judiciaire du mis en examen, après avoir considéré que la décision de placement en détention provisoire prise pour sanctionner l'inexécution par le mis en examen des obligations du contrôle judiciaire, n'a pas à être motivée au regard des exigences de l'article 144 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a violé les articles 142-1 et 144 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'article 141-2 du code de procédure pénale, tel qu'interprété par la Cour de cassation, porte atteinte à l'interdiction de toute rigueur qui n'est pas nécessaire à l'égard d'une personne présumée innocente, dès lors que l'inexécution volontaire d'une obligation d'un contrôle judiciaire, quelle qu'en soit la gravité, est sanctionnée par le placement en détention provisoire sans qu'il soit besoin de vérifier que cette mesure est nécessaire à la manifestation de la vérité, au maintien de ladite personne à la disposition de la justice, à sa protection, à la protection des tiers ou à la sauvegarde de l'ordre public, objectifs explicités par l'article 144 du code de procédure pénale, particulièrement afin d'éviter toute rigueur qui n'est pas nécessaire à l'égard d'une personne présumée innocente ; que, faute, à tout le moins, pour le législateur d'avoir prévu une telle vérification, il a méconnu son obligation de prévoir des dispositions claires et précises en matière pénale ; qu'il y a lieu, dès lors, de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel et, à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, de constater que l'arrêt attaqué se trouve privé de base légale au regard de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
3°/ qu'il se déduit de l'article 5 1. c de la Convention européenne des droits de l'homme que la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés ; qu'en ne recherchant pas si, au jour où elle se prononçait, il existait des indices graves ou concordants de participation aux infractions pour lesquelles M. Y... avait été mis en examen, un an plus tôt, le 12 septembre 2019, la chambre de l'instruction a violé l'article 5 1. c de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen pris en sa première branche
6. Pour infirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention et ordonner la révocation du contrôle judiciaire de M. Y... et son placement en détention provisoire, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de la procédure et notamment d'interceptions téléphoniques et d'une géolocalisation de ligne que l'intéressé a violé à de nombreuses reprises l'interdiction de se rendre dans certains départements et à l'étranger, ce qu'il a reconnu, expliquant avoir agi pour des motifs familiaux, sans toutefois justifier de la maladie alléguée de son fils, et qu'il ne saurait être reproché au magistrat instructeur d'avoir tardé à répondre à sa demande de modification des obligations du contrôle judiciaire pour justifier son comportement transgressif.
7. Les juges rappellent que la décision de placement en détention provisoire prise pour sanctionner l'inexécution par la personne mise en examen des obligations du contrôle judiciaire n'a pas à être motivée au regard des exigences de l'article 144 du code de procédure pénale.
8. Ils en déduisent que, M. Y... s'étant délibérément soustrait dès le début de la mesure de sûreté à l'interdiction de se rendre en Moselle sans motif légitime, la révocation du contrôle judiciaire doit être ordonnée.
9. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu les textes visés au moyen.
10. En effet, dès lors qu'elle a caractérisé l'existence d'un manquement entrant dans les prévisions de l'article 141-2 du code de procédure pénale, et souverainement estimé qu'il devait donner lieu à révocation du contrôle judiciaire, la décision de placement en détention provisoire prise pour sanctionner l'inexécution par la personne mise en examen des obligations du contrôle judiciaire n'a pas à être motivée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences de l'article 144 du même code.
11. Ainsi, le grief doit être écarté.
Sur le moyen pris en sa deuxième branche
12. Par arrêt de ce jour, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, posée par le demandeur et portant sur l'insuffisance des dispositions de l'article 141-2 du code de procédure pénale au regard de celles de l'article 144 du même code avec lequel il doit être combiné.
13. Cette décision rend sans objet le grief tiré de l'inconstitutionnalité de l'article 141-2 du code de procédure pénale.
Sur le moyen pris en sa troisième branche
14. Il résulte des articles 80-1 et 137 du code de procédure pénale que les mesures de sûreté ne peuvent être prononcées qu'à l'égard de la personne à l'encontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.
15. Il se déduit de l'article 5 1. c de la Convention européenne des droits de l'homme que la chambre de l'instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l'existence de tels indices.
16. Ce contrôle, propre à la matière des mesures de sûreté, est sans incidence sur la validité de la mise en examen, laquelle ne peut être critiquée que dans le cadre des procédures engagées sur le fondement des articles 80-1-1 et 170 du code de procédure pénale.
17. L'obligation susvisée de constater l'existence des indices graves ou concordants cesse, sauf contestation sur ce point, en cas de placement en détention provisoire sanctionnant des manquements volontaires aux obligations du contrôle judiciaire.
18. En l'absence de contestation, un tel placement en détention provisoire ne doit être motivé qu'au regard des manquements de la personne à ses obligations.
19. En l'espèce, la chambre de l'instruction, qui n'était pas saisie d'une contestation sur ce point, n'avait pas à s'assurer de l'existence de tels indices.
20. Ainsi, le grief doit encore être écarté.
21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept janvier deux mille vingt et un.
2 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 27 janvier 2021, 20-86.037, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 27 janvier 2021, 20-86.037, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
DROITS DE LA DEFENSE - Chambre de l'instruction - Appel d'une ordonnance de mise en accusation - Débats - Mise en examen - Notification du droit de se taire - Défaut - Portée
ANALYSE DE L'ARRET :
Il se déduit de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme que la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, saisie de l'appel formé contre l'ordonnance du juge d'instruction la renvoyant devant une juridiction de jugement, doit être informée de son droit, au cours des débats devant la chambre de l'instruction, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
Cependant, si la personne mise en examen, présente à l'audience de la chambre de l'instruction, saisie de son appel contre l'ordonnance du juge d'instruction la renvoyant devant la cour d'assises, ne comparaît pas devant la chambre de l'instruction, au sens de l'article 199 du code de procédure pénale, et n'est entendue à aucun moment, lors des débats devant la chambre de l'instruction sur les faits qui lui sont reprochés ou sur les charges pesant sur elle, elle ne peut critiquer l'absence d'avertissement, donné à l'audience de cette juridiction, de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 20-86.037 F-P+I
N° 00243
RB527 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 27 JANVIER 2021
REJET du pourvoi formé par Mme G... F... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 30 octobre 2020, qui l'a renvoyée devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine sous l'accusation de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Issenjou, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de Mme G... F..., et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 janvier 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Issenjou, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. L'enfant T... H... âgé de dix mois, a été retrouvé inconscient alors qu'il était sous la garde de Mme G... F..., assistante maternelle.
3. Les lésions constatées sur l'enfant évoquant des traumatismes par secouement, une information a été requise des chefs de violences sur un mineur de 15 ans suivie de mutilation ou infirmité permanente, puis, compte tenu du décès du nourrisson, étendue à des faits de violences sur mineur de 15 ans ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne ayant autorité.
4. Mme F..., mise en examen au cours de l'information, a été à l'issue de celle-ci mise en accusation de ce dernier chef.
5. Le procureur de la République et Mme F... ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé sa mise en accusation devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine du chef de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur un mineur de 15 ans par personne ayant autorité sur la victime, alors « que la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, saisie de l'appel formé contre l'ordonnance du juge d'instruction la renvoyant devant une cour d'assises, doit être informée de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; qu'en omettant, à l'ouverture des débats, d'informer Mme F..., comparante, des droits précités, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
8. Toute personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, saisie de l'appel formé contre l'ordonnance du juge d'instruction la renvoyant devant une cour d'assises, doit être informée de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
9. Il résulte de l'arrêt attaqué que la chambre de l'instruction a examiné l'appel formé contre l'ordonnance mettant en accusation Mme F... en présence de cette dernière.
10. Les énonciations de l'arrêt mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la personne mise en examen n'a pas comparu au sens de l'article 199 du code de procédure pénale et n'a à aucun moment, au cours des débats, été entendue sur les faits qui lui sont reprochés ou sur la nature des charges pesant sur elle.
11. Dès lors, les juges n'avaient pas l'obligation de l'informer de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
12. Le moyen sera en conséquence écarté.
13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept janvier deux mille vingt et un.
3 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 26 janvier 2021, 21-80.329, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 26 janvier 2021, 21-80.329, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
MANDAT D'ARRET EUROPEEN - Exécution - Conditions d'exécution - Application dans le temps - Retrait d'un Etat membre
ANALYSE DE L'ARRET :
Il résulte de l'article 62 de l'accord de retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique du 17 octobre 2019 que, lorsque la personne recherchée a été arrêtée avant la fin de la période de transition, soit le 31 décembre 2020 à minuit, aux fins de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen émis par les autorités judiciaires britanniques, l'exécution de ce mandat reste régie par les règles de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, peu important qu'une contestation soit encore pendante devant les juridictions de l'Etat d'exécution postérieurement à la date précitée
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 21-80.329 F-P+I
N° 00231
ECF26 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 26 JANVIER 2021
REJET du pourvoi formé par M. A... B... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans, en date du 23 décembre 2020, qui a autorisé sa remise aux autorités judiciaires britanniques en exécution d'un mandat d'arrêt européen.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de M. A... B..., et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 4 février 2020, les autorités judiciaires britanniques ont émis un mandat d'arrêt européen à l'encontre de M. B... aux fins d'exécution d'une peine de quarante-deux mois d'emprisonnement prononcée le 14 janvier 2016 pour agression sexuelle par pénétration.
3. Ce mandat a été notifié à M. B... le 16 novembre 2020.
4. Il a refusé sa remise.
Examen du moyenSur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté qu'il n'existait pas de cause de refus obligatoire ou facultative de remise de M. B... et a ordonné en conséquence sa remise aux autorités judiciaires britanniques en exécution du mandat d'arrêt européen du 4 février 2020 aux fins d'exécution d'une peine de quarante-deux mois d'emprisonnement prononcée le 14 janvier 2016, alors :
« 1°/ que le mandat d'arrêt européen est une décision judiciaire émise par un Etat membre de l'Union européenne, appelé Etat membre d'émission, en vue de l'arrestation et de la remise par un autre Etat membre, appelé Etat membre d'exécution, d'une personne recherchée pour l'exercice de poursuites pénales ou pour l'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privative de liberté ; que le mandat d'arrêt européen s'applique encore, selon l'article 62 de l'accord du 12 novembre 2019 sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique, « lorsque la personne recherchée a été arrêtée avant la fin de la période de transition aux fins de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen, quelle que soit la décision de l'autorité judiciaire d'exécution quant au maintien en détention ou à la mise en liberté provisoire de la personne recherchée » ; qu'il s'en déduit a contrario que cet accord ne s'applique pas aux mandats d'arrêt européen dont la contestation est encore pendante devant les juridictions du pays d'exécution postérieurement à la période de transition et au retrait effectif du Royaume-Uni de l'Union européenne, à savoir le 1er janvier 2021 ; qu'ainsi la Cour de cassation ne pourra que constater que l'arrêt attaqué est désormais privé de toute base légale ;
2°/ qu'il conviendra de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : l'article 62 de l'accord du 12 novembre 2019 relatif au retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique, qui prévoit seulement que le mécanisme du mandat d'arrêt européen s'applique aux personnes arrêtées avant la fin de la période de transition quelle que soit la décision de l'autorité judiciaire d'exécution quant au maintien en détention ou à la mise en liberté provisoire de la personne recherchée, s'étend-il aux personnes qui ont contesté le mandat d'arrêt européen devant le pays d'exécution et dont la procédure est toujours pendante après le 1er janvier 2021 à 00h00, date de la fin de la période de transition et du retrait effectif du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique ?
5°/ qu'aux termes de l'article 695-22-1 du code de procédure pénale, la remise doit être refusée pour l'exécution d'une peine prononcée lors d'un procès auquel l'intéressé n'a pas comparu, sauf s'il a été informé dans les formes légales et effectivement de la date et du lieu du procès ; que l'autorité d'émission n'a pas indiqué dans le mandat d'arrêt européen les conditions dans lesquelles l'information préalable relative à la date, au lieu du procès et à la représentation par un avocat avaient été remplies ; que l'arrêt attaqué n'est pas plus précis, se bornant à indiquer que M. B... a été « informé du procès » et qu'il a donné « mandat à un conseil qui l'a effectivement défendu » ; que pareilles mentions ne répondent en rien aux exigences propres du mandat d'arrêt européen, qui impliquent le respect d'une procédure stricte ; qu'en accordant néanmoins la remise de M. B... aux autorités britanniques, la chambre de l'instruction a violé l'article 695-22-1 du code de procédure pénale ;
6°/ qu'aux termes de l'article 695-22-1 du code de procédure pénale, l'exécution d'un mandat d'arrêt européen doit être refusée lorsque l'intéressé n'a pas reçu signification de la décision prononçant la condamnation et qu'il n'a pas été expressément informé de son droit d'exercer à l'encontre de celle-ci un recours permettant d'obtenir un nouvel examen de l'affaire au fond, en sa présence, par une juridiction ayant le pouvoir de prendre une décision annulant la décision initiale ou se substituant à celle-ci, sauf s'il a indiqué expressément qu'il ne contestait pas la décision initiale ; qu'en accordant la remise de M. B... aux autorités britanniques sans rechercher, au besoin par un supplément d'information, si le jugement ainsi que les délais et voies de recours avaient bien été portés à la connaissance de M. B... et s'il avait été effectivement mis en mesure de contester cette décision rendue en son absence, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 695-22-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
7. Aux termes de l'article 62 de l'accord du 12 novembre 2019 relatif au retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique du 17 octobre 2019 :« 1. Au Royaume-Uni, ainsi que dans les États membres en cas de situations impliquant le Royaume-Uni, les actes suivants s'appliquent comme suit :(...)b) la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil s'applique en ce qui concerne les mandats d'arrêt européens lorsque la personne recherchée a été arrêtée avant la fin de la période de transition aux fins de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen, quelle que soit la décision de l'autorité judiciaire d'exécution quant au maintien en détention ou à la mise en liberté provisoire de la personne recherchée (...) ».
8. L'article 62 précité ne subordonne littéralement l'application de la décision-cadre 2002/584/JAI qu'à la seule condition que la personne recherchée ait été arrêtée avant la fin de la période de transition aux fins de l'exécution du mandat d'arrêt européen.
9. Il ne distingue pas selon que la procédure a été achevée avant cette date ou est toujours en cours à celle-ci.
10. Il en résulte clairement que lorsque la personne recherchée a été arrêtée avant la fin de la période de transition, soit le 31 décembre 2020 à minuit, aux fins de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen émis par les autorités judiciaires britanniques, l'exécution de ce mandat reste régie par les règles de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, peu important qu'une contestation soit encore pendante devant les juridictions de l'Etat d'exécution postérieurement à la date précitée.
11. Cette solution s'impose en outre eu égard à l'objectif poursuivi par l'accord de retrait d'assurer la sécurité juridique dans les relations entre les Etats membres et le Royaume-Uni, postérieurement au retrait de cet Etat, ce qui commande que les procédures judiciaires en cours, initiées durant la période de transition dans l'Etat d'exécution, puissent être achevées selon les règles régissant le droit de l'Union, y compris après la fin de cette période.
12. Il s'ensuit que l'application correcte de l'article 62 de l'accord de retrait, commandée par son interprétation tant littérale que finaliste, s'imposant avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable, il n'y a pas lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.
13. En l'espèce, M. B... a été arrêté le 16 novembre 2020, soit avant la fin de la période de transition.
14. Dès lors, c'est à bon droit que la chambre de l'instruction a fait application de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil et des dispositions des articles 695-11 et suivants du code de procédure pénale.
15. En conséquence, le grief doit être écarté.
Sur le moyen, pris en ses cinquième et sixième branches
16. Pour ordonner la remise aux autorités judiciaires britanniques de M. B..., absent lors de son procès, qui soutenait qu'il n'avait pas donné mandat à Me V... pour le représenter lors de celui-ci, l'arrêt énonce que ces autorités ont expressément indiqué dans le mandat d'arrêt que M. B..., informé du procès programmé, avait donné mandat à son conseil de l'y représenter et que ce dernier l'avait effectivement défendu.
17. Les juges ajoutent qu'il résulte des justificatifs transmis par les autorités judiciaires britanniques et notamment d'un courriel du 15 décembre 2015 que, pour le cas où il ne pourrait venir s'expliquer en personne, M. B... avait effectivement donné mandat de le représenter au conseil qui l'a défendu au procès à l'issue duquel une peine de quarante-deux mois d'emprisonnement à été prononcée à son encontre.
18. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction qui a fait l'exacte application de l'article 695-22-1, 2° du code de procédure pénale et n'avait pas à rechercher si l'intéressé se trouvait dans les autres cas prévus par cet article, a justifié sa décision.
19. Il s'ensuit que les griefs ne peuvent être accueillis.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six janvier deux mille vingt et un.
4 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 26 janvier 2021, 20-84.472, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 26 janvier 2021, 20-84.472, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Qpc incidente - Non-lieu à renvoi au cc
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 20-84.472 FS-P+I
N° 00233
26 JANVIER 2021
ECF
NON LIEU À RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 26 JANVIER 2021
M. B... N... et les cabinets PriceWaterhouseCoopers audit et PriceWaterhouseCoopers entreprises ont présenté, par mémoires spéciaux reçus le 16 novembre 2020, deux questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par eux contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2ème section, en date du 22 juin 2020, qui, dans l'information suivie contre le premier du chef de diffusion d'informations mensongères sur la situation d'une personne morale par commissaire aux comptes et contre personne non dénommée des chefs notamment de non révélation au parquet de faits délictueux par commissaire aux comptes, abus de biens sociaux, banqueroute, escroquerie, faux et usage, entrave à l'exercice des fonctions de commissaire aux comptes, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevable leur constitution de partie civile.
Des observations complémentaires ont été produites.
Sur le rapport de Mme de Lamarzelle, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. B... N..., des cabinets PriceWaterhouseCoopers audit et PriceWaterhouseCoopers entreprises, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme de Lamarzelle, conseiller rapporteur, MM. Bonnal, Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Violeau, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La première question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article 87 du code de procédure pénale, dont il résulte que le juge d'instruction peut, d'office ou sur contestation du procureur de la République ou d'une partie, déclarer irrecevable une constitution de partie civile après communication du dossier au ministère public dès lors qu'il a, au préalable, mis en mesure l'intéressé de présenter ses observations (Crim. 13 mars 2014, n°14-90.014), portent-elles atteinte au droit à une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties, au principe du contradictoire et aux droits de la défense, tels qu'ils sont garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles ne prévoient pas, d'une part, que la partie civile concernée puisse prendre connaissance des réquisitions du procureur de la République et, le cas échéant, des écritures déposées par d'autres parties en vue d'influencer la décision du magistrat instructeur sur la recevabilité de sa constitution, d'autre part, qu'elle doive être préalablement informée par le magistrat instructeur, dans le cas où l'irrecevabilité serait relevée d'office, du motif d'irrecevabilité envisagé et, enfin, qu'elle puisse préalablement consulter, à l'instar du ministère public, le dossier de la procédure, en ce compris les pièces sur lesquelles se fondent les réquisitions et, le cas échéant, les écritures déposées par les autres parties ? »
2. La seconde question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article 197, alinéa 3, du code de procédure pénale méconnaissent-elles le droit à une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties, le principe du contradictoire, les droits de la défense, et le droit à un recours juridictionnel effectif, tels qu'ils sont garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles ne permettent ni à la partie civile appelante d'une ordonnance d'irrecevabilité de sa constitution, ni à son avocat pourtant tenu au secret de l'instruction, de prendre connaissance, avant l'audience, du dossier de la procédure auquel sont jointes les réquisitions du procureur général, y compris les pièces sur lesquelles le magistrat instructeur s'est fondé pour rendre l'ordonnance d'irrecevabilité attaquée et celles sur lesquelles le procureur général, qui, pour sa part, a accès au dossier, s'est fondé pour requérir la confirmation de cette décision ? »
3. Les dispositions législatives contestées sont applicables à la procédure.
4. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
5. Les questions, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.
6. Les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.
7. D'une part, les dispositions contestées tendent à éviter qu'une personne qui n'a aucun titre à se constituer partie civile puisse obtenir la communication d'une procédure couverte par le secret de l'instruction et accéder au dossier à l'occasion de la contestation de sa constitution.
8. D'autre part, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que le juge d'instruction ne peut déclarer irrecevable une constitution de partie civile qu'après avoir au préalable mis en mesure l'intéressé de présenter ses observations (Crim. 3 juin 2014 n°14-90.014, Bull. Crim. n°144).
9. Enfin, les dispositions des articles préliminaire et 197, alinéa 3, du code de procédure pénale commandent la communication préalable à la partie civile des réquisitions du procureur de la République et, sur appel de la décision d'irrecevabilité, des réquisitions du procureur général.
10. En conséquence, les dispositions critiquées procèdent d'une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, d'autre part, les droits de la défense, l'équilibre des droits des parties, le principe du contradictoire et le droit au recours garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt et un.
5 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 janvier 2021, 20-81.118, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 janvier 2021, 20-81.118, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 20-81.118 FS-P+B+I
N° 75
CK20 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 20 JANVIER 2021
Le procureur général près la cour d'appel d'Amiens a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 31 janvier 2020, qui, dans la procédure suivie contre M. U... G... des chefs d'exécution d'un travail dissimulé et vente ou mise en vente de marchandise présentée sous une marque contrefaisante sur un réseau de communication public en ligne, a prononcé sur sa requête en restitution d'objet saisi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 décembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Planchon, Zerbib, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, Mmes Pichon, Fouquet, conseillers référendaires, M. Croizier, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. U... G... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour exécution d'un travail dissimulé et vente ou mise en vente de marchandise présentée sous une marque contrefaisante sur un réseau de communication public en ligne. Divers matériels informatiques et téléphoniques ont été saisis pendant l'enquête.
3. Par décision devenue définitive, le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable des faits poursuivis et l'a condamné à une mesure de sanction réparation au profit des parties civiles.
4. Saisi par M. G... d'une requête en restitution d'un téléphone portable et de deux ordinateurs, le procureur de la République a rejeté la demande au motif que ces biens avaient servi à commettre les infractions.
5. M. G... a déféré la décision à la chambre de l'instruction.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation des articles 41-4 et 591 du code de procédure pénale.
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la restitution des objets revendiqués alors que l'alinéa 2 de l'article 41-4 du code de procédure pénale fait obstacle à la restitution d'objets qui ont été l'instrument de l'infraction et dont la propriété n'est pas sérieusement contestée.
Réponse de la Cour
8. Aux termes de l'article 41-4 du code de procédure pénale, au cours de l'enquête ou lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie ou que la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, le procureur de la République ou le procureur général est compétent pour décider, d'office ou sur requête, de la restitution de ces objets lorsque la propriété n'en est pas sérieusement contestée.
9. Le texte ajoute qu'il n'y a pas lieu à restitution lorsque celle-ci est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens, lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction ou lorsqu'une disposition particulière prévoit la destruction des objets placés sous main de justice.
10. Enfin, il prévoit que la décision de non-restitution prise pour l'un de ces motifs ou pour tout autre motif, même d'office, par le procureur de la République ou le procureur général peut être déférée par l'intéressé au président de la chambre de l'instruction ou à la chambre de l'instruction.
11. En revanche, l'article 131-21, alinéa 2, du code pénal ne prévoit pas que la peine complémentaire de confiscation de l'instrument de l'infraction présente un caractère obligatoire.
12. De même, en application de l'article 481, alinéa 3, du code de procédure pénale, le refus de restitution d'un bien saisi constituant l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction est une simple faculté pour la juridiction saisie (Crim., 27 juin 2018, pourvoi n° 17-87.424, Bull. crim. 2018, n° 129.
13. Il s'en déduit le principe suivant. Lorsque la requête aux fins de restitution est présentée après que la juridiction de jugement saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, la non-restitution de l'instrument de l'infraction ne saurait présenter un caractère obligatoire.
14. Cette interprétation n'est pas contraire à l'article 4, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, dont les dispositions du deuxième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale constituent la transposition, dès lors que le premier de ces textes n'interdit pas la restitution de l'instrument de l'infraction.
15. Aussi, il appartient à la chambre de l'instruction à laquelle est déférée la décision de non-restitution de l'instrument de l'infraction rendue par le ministère public après que la juridiction de jugement saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, d'apprécier, sans porter atteinte aux droits du propriétaire de bonne foi, s'il y a lieu ou non de restituer le bien au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle.
16. En l'espèce, pour ordonner la restitution des biens placés sous main de justice, l'arrêt énonce que, s'agissant de la gravité concrète des faits, il y a lieu de prendre en considération la durée des infractions, qui n'a pas excédé cinq mois, le nombre limité des ventes évalué entre trente et cinquante, et le bénéfice qui en est résulté pour le requérant, estimé à 700 euros.
17. Les juges ajoutent que le préjudice qui en est résulté pour les quatre parties civiles constituées devant le tribunal a été retenu pour un montant total de 800 euros et qu'une mesure de sanction réparation a été prononcée portant sur le versement des sommes allouées aux parties civiles, sommes que le requérant déclare avoir payées.
18. Les juges relèvent encore que les objets saisis sont susceptibles de contenir des données personnelles et familiales dont la privation pourrait affecter M. G... et ses proches, en particulier son fils.
19. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
20. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
21. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt janvier deux mille vingt et un.
6 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 janvier 2021, 20-81.359, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 janvier 2021, 20-81.359, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Cassation sans renvoi
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 20-81.359 FS-P+B+I
N° 101
RB513 JANVIER 2021
CASSATION SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 13 JANVIER 2021
M. T... M... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Chambéry, en date du 30 janvier 2020, qui, sur la demande d'extradition présentée par le gouvernement albanais, a émis un avis favorable.
Un mémoire a été produit
Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. T... M..., et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 décembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. Moreau, Mme Drai, M. de Larosière de Champfeu, Mme Slove, M. Guéry, Mmes Sudre, Issenjou, M. Turbeaux, conseillers de la chambre, Mmes Carbonaro, Barbé, M. Mallard, conseillers référendaires, Mme Mathieu, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 29 octobre 2019, M. T... M..., ressortissant albanais, a été interpellé à Annecy en exécution d'une fiche de recherches relative à une demande d'arrestation provisoire des autorités albanaises aux fins d'exécution d'une peine de quatre ans et huit mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve prononcée par le tribunal de première Instance de Kukes le 9 novembre 2015 et confirmé par arrêt de la cour d'appel de Shkodër le 13 mars 2017, pour production et vente de stupéfiants, faits commis à Krume (Albanie) le 3 mai 2015.
3. Le sursis a été révoqué par jugement du même tribunal, du 15 janvier 2018, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Shkodër le 1er novembre 2018.
4. La demande d'arrestation provisoire a été notifiée à l'intéressé le 30 octobre 2019. M. M... a déclaré s'opposer à son extradition. Il a été placé sous contrôle judiciaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté d'une part que M. M... a comparu « avec le concours d'un interprète en langue albanaise, Mme P... Q... inscrite sur la liste des experts de la cour d'appel » (arrêt p. 1), et d'autre part qu'il a été entendu en ses explications « avec le concours de Mme X... W..., interprète » (arrêt p. 2), alors « que la chambre de l'instruction, dont les constatations contradictoires ne permettent pas de s'assurer de l'identité de l'interprète ayant assisté M. M... à l'audience ni ne permettent de s'assurer que celle-ci était inscrite sur la liste des experts ou aurait régulièrement prêté serment, a privé sa décision de base légale au regard des articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 696-13 du code de procédure pénale, de sorte que l'arrêt ne réunit pas, en la forme, les conditions essentielles de son existence légale. »
Réponse de la Cour
6. L'arrêt énonce tout d'abord que les débats ont été tenus avec le concours d'un interprète en langue albanaise, Mme P... Q..., inscrite sur la liste des experts de la cour d'appel.
7. Plus loin, à deux reprises, l'arrêt fait mention du concours de Mme X... W..., interprète en langue albanaise.
8. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure, la Cour de cassation étant en mesure de s'assurer que les deux interprètes précitées étaient inscrites sur la liste des experts près la cour d'appel de Chambéry, établie pour l'année 2020.
9. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le troisième moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a donné un avis favorable à l'extradition de M. M... alors :
« 1°/ que les principes généraux du droit de l'extradition font obstacle à ce qu'une personne bénéficiant de la protection subsidiaire puisse faire l'objet, aussi longtemps qu'il n'a pas été mis fin à cette protection, d'une extradition vers son pays d'origine ; que la chambre de l'instruction, qui constate que la personne réclamée a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire et qu'une telle circonstance a pour effet d'interdire sa remise durant le temps de la protection, pour ensuite donner un avis favorable à l'extradition, a excédé ses pouvoirs et violé les principes précités et l'article 696-15 du code de procédure pénale, privant ainsi son arrêt des conditions essentielles de son existence légale ;
2°/ que la protection subsidiaire a été octroyée à la personne réclamée sur le fondement de l'article L. 712-1 b) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en raison de risques avérés de subir « la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants », par une décision de la cour nationale du droit d'asile du 16 octobre 2019 ; qu'en s'abstenant de rechercher si l'extradition de M. M... vers son pays d'origine ne l'exposerait pas à un risque de torture ou de peine ou traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de ce dernier texte et ce faisant privé son arrêt des conditions essentielles de son existence légale ; la cassation interviendra sans renvoi. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, 696-15 du code de procédure pénale et L 712-1 du CESEDA :
11. Il résulte de ces textes que la chambre de l'instruction qui constate que la personne réclamée encourt, en cas d'extradition vers son pays d'origine, le risque d'être soumise à un traitement inhumain et dégradant, doit donner un avis défavorable.
12. Un tel risque est avéré lorsque la personne bénéficie de la protection subsidiaire aussi longtemps qu'il n'y a pas été mis fin.
13. Pour donner un avis favorable à la demande d'extradition des autorités albanaises, l'arrêt attaqué retient que l'octroi de la protection subsidiaire, justifiée en l'espèce par la production d'une copie du récépissé n° 38031 18152, établi au nom de M. M..., a pour effet d'interdire sa remise durant le temps de la protection accordée.
14. Ils ajoutent que, cependant, ce statut provisoire protecteur n'affecte pas la régularité de la demande d'extradition.
15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a violé les articles et principes susvisés, n'a pas répondu aux conditions essentielles de son existence légale.
16. La cassation est dès lors encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
17. Il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens. La Cour de cassation étant en mesure de dire la règle de droit en application de l'article L411-3 du Code d'organisation judiciaire, il n'y a pas lieu à renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Chambéry, en date du 30 janvier 2020 ;DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
EMET un avis défavorable à la demande d'extradition formulée par les autorités albanaises à l'encontre de M. M... ;
CONSTATE qu'il est mis fin au contrôle judiciaire ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize janvier deux mille vingt et un.
7 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 janvier 2021, 20-80.511, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 janvier 2021, 20-80.511, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° A 20-80.511 F-P+B+I
N° 00042
CK13 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 13 JANVIER 2021
Mme Q... C..., MM. K... N..., V... N..., Mme Y... B..., épouse P..., MM. M... B..., B... B..., parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 19 décembre 2019, qui sur renvoi après cassation (Crim., 4 janvier 2005, pourvoi n° 03-84.652), dans l'information suivie contre personnes non dénommées des chefs, notamment, d'enlèvement, détention et séquestration arbitraires, actes de torture ou de barbarie, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.
Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.
Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme Q... C..., MM. K... N..., V... N..., Mme Y... B..., épouse P..., MM. M... B..., B... B..., parties civiles, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. Moreau, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 14 novembre 2002, MM. M... B..., V... N... et leurs parents ont déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Lyon des chefs d'acte attentatoire à la liberté individuelle consistant en une détention de plus de sept jours, abstention volontaire de mettre fin à une privation illégale de liberté et séquestration de personne.
3. Les deux intéressés, de nationalité française, ont été arrêtés dans le cadre des opérations déclenchées par les Etats-Unis à l'encontre du régime taliban et du réseau Al Qaida, et détenus au camp de Guantanamo Bay, base militaire américaine située à Cuba.
4. Par ordonnance du 14 février 2003, le juge d'instruction a refusé d'informer. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon a confirmé cette ordonnance par arrêt du 20 mai 2003.
5. Par arrêt du 4 janvier 2005 (pourvoi n° 03-84.652), la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé cette décision et renvoyé l'affaire devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.
6. Par arrêt en date du 1er juin 2005, cette juridiction a infirmé l'ordonnance de refus d'informer.
7. Les magistrats instructeurs saisis ont procédé à de nombreuses investigations sur les conditions dans lesquelles les parties civiles ont été détenues.
8. Le 6 octobre 2009, le procureur de la République a délivré un réquisitoire supplétif des chefs de tortures et actes de barbarie concomitants aux crimes d'arrestation, enlèvement, détention, séquestration sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi commis en réunion, avec préméditation et avec usage ou menace d'une arme.
9. Aucune des diverses commissions rogatoires internationales adressées aux Etats-Unis n'a reçu exécution, les autorités américaines refusant de lever le secret-défense.
10. De même, le ministre de la Défense français a fait connaître aux magistrats instructeurs que la Commission consultative du secret de la défense nationale avait rendu un avis défavorable qu'il entendait suivre.
11. Le 18 septembre 2017, les juges d'instruction on rendu une ordonnance de non-lieu dont les parties civiles ont interjeté appel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen.
Enoncé du moyen.
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable le mémoire déposé dans l'intérêt des demandeurs, alors « que les juridictions doivent, en appliquant les règles de procédure, éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure et notamment au droit au juge ; qu'en retenant que faute d'être signé, le mémoire que l'avocat des parties civiles avait déposé en personne le 6 novembre 2019 au greffe de la chambre de l'instruction était irrecevable, partant, ne la saisissait pas des moyens qu'il pourrait contenir, la chambre de l'instruction a fait preuve d'un formalisme excessif et méconnu ainsi les articles 6, § 1, de la convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 198, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour.
13. Pour dire irrecevable le mémoire déposé par Maître L... le 6 novembre 2019 au greffe de la chambre de l'instruction, l'arrêt attaqué énonce qu'un mémoire non signé ne saisit pas la cour des arguments qu'il pourrait contenir ni des pièces jointes.
14. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision et n'a pas violé les principes conventionnels invoqués.
15. En effet, les mémoires présentés devant la chambre de l'instruction en vertu de l'article 198 du code de procédure pénale, lorsqu'ils ne comportent pas la signature de la partie intéressée ou de son avocat, ne saisissent pas les juges des moyens qui peuvent y être formulés.
16. Le demandeur ne peut se faire grief de cette exigence destinée à garantir l'authenticité de l'acte. Peu importe, à cet égard, l'identité de celui qui a déposé ledit mémoire.
17. Le moyen doit, en conséquence, être écarté.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé un non-lieu alors :
« 1°/ que les actes de torture et de barbarie commis par les agents d'un Etat ne participent pas à l'exercice de la souveraineté de l'Etat ; qu'en retenant que les personnes susceptibles d'avoir participé comme auteur ou complice aux infractions accompagnées d'actes de tortures dénoncées par les parties civiles bénéficiaient de l'immunité de juridiction dès lors que ces infractions avaient été commises par des agents de l'Etat des Etats-Unis d'Amérique dans le cadre de la politique de lutte contre le terrorisme à la suite des attentats du 11 septembre 2001 dont la détermination et la mise en oeuvre par l'armée des Etats-Unis sont des actes qui relèvent de la souveraineté de cet Etat, la chambre de l'instruction a méconnu les principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des états étrangers, les articles 3 et 6 de la convention européenne des droits de l'homme, 222-1 et 432-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'étant une norme de jus cogens du droit international, laquelle prime les autres règles du droit international, l'interdiction de la torture constitue une restriction légitime à l'immunité de juridiction ; qu'en retenant que les personnes susceptibles d'avoir participé comme auteur ou complice aux infractions accompagnées d'actes de tortures dénoncées par les parties civiles bénéficiaient de l'immunité de juridiction, la chambre de l'instruction a méconnu les principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des états étrangers, les articles 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, 7 du Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques, 3 de la Déclaration des Nations unies de 1975 sur la protection de toute personne contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 2 et 4 de la Convention des Nations unies de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 3 et 6 de la convention européenne des droits de l'homme, 222-1 et 432-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que l'octroi de l'immunité de juridiction à des agents d'un Etat étranger auxquels une partie civile reproche des actes de torture porte une atteinte excessive au droit à un tribunal ; qu'en retenant, pour ordonner un non-lieu, que les personnes susceptibles d'avoir participé comme auteur ou complice aux infractions accompagnées d'actes de tortures dénoncées par les parties civiles bénéficiaient de l'immunité s'opposant à leur poursuite devant les juridictions pénales françaises et à leur mise en examen, la chambre de l'instruction a porté atteinte à la substance même du droit des parties civiles à accéder à un tribunal et méconnu ainsi les articles 3 et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que l'immunité de juridiction des états étrangers et de leurs représentants ne peut constituer un obstacle à la poursuite d'une information que dans l'hypothèse où la juridiction d'instruction s'est assurée que les faits dénoncés ne peuvent être imputés qu'à des personnes pouvant se prévaloir de l'immunité ; qu'en se bornant, pour retenir l'existence d'un obstacle à la poursuite de l'information, à affirmer que les agissements dénoncés par les parties civiles avaient été commis par le personnel militaire des Etats-Unis dans le cadre de la politique de lutte contre le terrorisme décidée par le président Georges W. Bush, ce dont elle a déduit, à tort, qu'ils constituaient des actes relevant de l'exercice de la souveraineté de l'Etat concerné, au lieu de s'interroger sur le point de savoir si les différents actes dénoncés, qui, pour certains, revêtaient la qualification d'actes de torture et de barbarie ou de viol et qu'elle s'est abstenue d'analyser, avaient été commis sur ordre des plus hautes autorités de l'Etat dans l'exercice de sa souveraineté ou si, au contraire, ils étaient l'oeuvre de militaires qui avaient agi en dehors de toute décision desdites autorités, et ne pouvant, dès lors, bénéficier de l'immunité quand bien même ils avaient agi dans l'exercice de leurs fonctions, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 3 et 6 de la convention européenne des droits de l'homme, 85, 86, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
19. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu, l'arrêt attaqué relève que les personnes désignées par les avocats des parties civiles au cours de l'instruction sont effectivement susceptibles d'avoir participé, comme auteur ou complice, aux faits objet de l'information mais qu'elles bénéficient d'une immunité de juridiction qui empêche que l'information soit utilement poursuivie, une telle immunité ratione materiae concernant les actes qui, par leur nature ou leur finalité, relèvent de l'exercice de la souveraineté de l'Etat concerné.
20. Les juges retiennent que l'arrestation des personnes transférées à Guantanamo, au nombre desquelles figuraient M B... et M. N..., puis le traitement qui leur a été réservé, ont été décidés et organisés par les autorités politiques des Etats-Unis d'Amérique, et au plus haut niveau de l'Etat par le Président Georges W. Bush et mise en oeuvre par l'armée des Etats-Unis dans le cadre des opérations de lutte contre le terrorisme déclenchées à la suite des attentats du 11 septembre 2001, que ces actes relèvent de l'exercice de la souveraineté de l'Etat concerné et ne constituent pas des actes de simple gestion.
21. La chambre de l'instruction conclut que les personnes susceptibles d'avoir participé comme auteur ou complices aux faits dénoncés par M B... et M. N..., et notamment les responsables américains visés par les observations des parties civiles au cours de l'information, à savoir, M. G.W Bush, président des Etats-Unis de 2001 à 2009, M. X... S..., secrétaire d'Etat à la défense des Etats Unis de janvier 2001 au 8 novembre 2006, M. U... D..., conseiller juridique à la Maison Blanche de 2001 à 2005, M. T... G... , conseiller juridique de l'attorney général, M. I... F... , assistant à l'attorney général, M. E... O... II, directeur des affaires juridiques au secrétariat d'Etat à la défense sous X... S..., et le général ... J... W..., commandant du camp de Guantanamo au moment des faits, bénéficient de l'immunité de juridiction qui s'oppose à leur poursuite devant les juridictions pénales françaises, à leur mise en examen ou à la délivrance d'un mandat d'arrêt à leur encontre.
22. Les juges ajoutent enfin qu'il n'est pas utile à la manifestation de la vérité de procéder à l'audition des responsables américains précédemment mentionnés dès lors qu'ils ne peuvent être poursuivis ni mis en examen ni faire l'objet de mandats d'arrêt et que, pour les mêmes raisons, de nouvelles auditions de témoins ne sont pas nécessaires, de même la réitération des demandes effectuées par la voie de l'entraide pénale internationale qui se sont déjà heurtées à l'absence de réponse ou au refus d'exécution des autorités judiciaires des Etats-Unis, ou tout autre acte d'information.
23. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
24. Les faits incriminés, reprochés à un ancien président des Etats-Unis et à différents membres du gouvernement, fonctionnaires ou membres de l'armée américaine, ne peuvent être assimilés à de simples actes de gestion mais constituent des actes relevant de l'exercice de la souveraineté de l'Etat.
25. La coutume internationale s'oppose à ce que les agents d'un Etat, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux parties concernées, puissent faire l'objet de poursuites, pour des actes entrant dans cette catégorie, devant les juridictions pénales d'un État étranger.
26. Il appartient à la communauté internationale de fixer les éventuelles limites de ce principe, lorsqu'il peut être confronté à d'autres valeurs reconnues par cette communauté, et notamment celle de la prohibition de la torture.
27. En l'état du droit international, les crimes dénoncés, quelle qu'en soit la gravité, ne relèvent pas des exceptions au principe de l'immunité de juridiction.
28. Par ailleurs, le droit d'accès à un tribunal, tel que garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, n'est pas absolu et ne s'oppose pas à une limitation à ce droit, découlant de l'immunité des États étrangers et de leurs représentants, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles généralement reconnues en matière d'immunité des États. En l'espèce, l'octroi de l'immunité, conformément au droit international, ne constitue pas une restriction disproportionnée au droit d'un particulier d'avoir accès à un tribunal.
29. Enfin, il est vainement fait grief à l'arrêt d'avoir refusé d'ordonner les nouvelles mesures d'instruction sollicitées, dès lors que l'opportunité d'ordonner un supplément d'information est une question de pur fait qui échappe au contrôle de la Cour de cassation.
30. Ainsi, le moyen doit être écarté.
31. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize janvier deux mille vingt et un.
8 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 janvier 2021, 20-85.791, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 janvier 2021, 20-85.791, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 20-85.791 FS-P+B+I
N° 00177
RB513 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 13 JANVIER 2021
M. M... Q... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 3e section, en date du 6 octobre 2020, qui l'a renvoyé devant la cour d'assises de Seine-et-Marne sous l'accusation de tentative d'assassinat, port d'arme prohibé, menaces aggravées, menace de mort et détention d'arme.
Des mémoires en demande et en défense ont été produits.
Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. M... Q..., les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de Mme D... B..., et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 janvier 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 8 décembre 2017, aux alentours de 18 heures 50, Mme W... Q... s'est présentée au commissariat de Villeparisis pour avertir que son mari, M. M... Q..., avait quitté le domicile afin de se rendre chez Mme D... B..., avec laquelle elle était associée dans l'exploitation d'une pharmacie, et rencontrait des difficultés relationnelles et financières.
3. Elle a précisé que son époux n'était pas dans son état normal, qu'elle ne l'avait jamais vu dans un tel état de fureur et qu'il avait consommé de l'alcool.
4. Les policiers se sont transportés au domicile de Mme B... qui était absente. Ils y ont trouvé M. Q..., assis au volant de son véhicule. Ils l'ont invité à en descendre. M. Q... les a alors menacés de dégoupiller une grenade et de la leur jeter.
5. Après l'interpellation, les enquêteurs ont constaté la présence d'une arme de poing de type Manurhin 32 match, approvisionnée de six cartouches létales, dans le véhicule, entre les deux sièges avant. Ils n'ont pas découvert de grenade.
6. Dans le véhicule de police, M. Q... a déclaré spontanément qu'il était venu pour tuer Mme B....
7. Son taux d'alcool était de 0,30 mg/litre.
8. M. Q... a été mis en examen, notamment, du chef de tentative de meurtre. Il a déclaré qu'il aurait peut-être sorti son arme mais ne comptait pas l'utiliser. Il a été placé sous contrôle judiciaire.
9. Par ordonnance en date du 20 février 2020, le magistrat instructeur a dit n'y avoir lieu à suivre contre M. Q... du chef de tentative de meurtre et a ordonné son renvoi devant le tribunal correctionnel pour les délits connexes.
10. La partie civile et le ministère public ont formé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier et le second moyens
Enoncé des moyens
11. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a statué sur l'appel d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et de non-lieu partiel, d'avoir prononcé la mise en accusation de M. Q..., initialement mis en examen pour tentative de meurtre, et son renvoi devant la cour d'assises de Seine-et-Marne du chef de tentative d'assassinat, alors :
« 1°/ que si la chambre de l'instruction est investie du droit de modifier ou de compléter la qualification donnée aux faits dénoncés, elle ne peut statuer sans ordonner une nouvelle information sur de nouveaux chefs de poursuites qui n'ont pas été compris dans les faits pour lesquels la personne visée a été mise en examen devant le juge d'instruction ; qu'elle ne peut ainsi mettre en accusation un prévenu pour des faits non compris dans la mise en examen initiale du juge d'instruction sans supplément d'information sur ce point ; qu'en mettant M. Q... en accusation devant la cour d'assises du chef d'assassinat avec guet-apens, alors même qu'il n'avait pas été régulièrement mis en examen de ce chef par le juge d'instruction et qu'aucun supplément d'information n'a été ordonné, la chambre de l'instruction a violé les articles 181, 201, 202, 204, 205, 214, 215 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en l'état du réquisitoire du ministère public requérant la confirmation de l'ordonnance entreprise et des conclusions de la partie civile qui réclamait la qualification de tentative d'homicide volontaire, la question relative à la circonstance aggravante de guet-apens et la requalification des faits en tentative d'assassinat n'a pas été soumise à la discussion contradictoire devant la chambre de l'instruction, et M. Q... n'a donc pas été mis en mesure de s'expliquer sur ce point ; qu'ainsi, en retenant d'office la qualification de tentative d'assassinat, alors même que la mise en examen portait sur des faits de tentative de meurtre, que l'ordonnance entreprise avait conclu à un non-lieu partiel à l'encontre de M. Q... du chef de tentative d'homicide sur K... B... et que le ministère public requérait la confirmation de l'ordonnance entreprise, la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs, méconnu le principe du contradictoire, les droits de la défense, ensemble violé les articles 1 préliminaire au code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi que les articles susvisés. »
12. Le second moyen critique l'arrêt attaqué pour avoir infirmé partiellement l'ordonnance entreprise, requalifié les faits en tentative d'assassinat et dit qu'il résulte des pièces de l'instruction, des charges suffisantes contre M. Q... d'avoir à Mitry-Mory, le 8 décembre 2017, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, tenté avec préméditation ou guet-apens de donner volontairement la mort à Mme P... épouse B..., ladite tentative, manifestée par un commencement d'exécution, en l'espèce en attendant longuement devant le domicile de la victime le retour de celle-ci en étant munie d'une arme de poing dont il avait vérifié qu'elle était chargée de munitions létales, n'ayant été interrompue ou n'ayant manqué son objet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, en l'espèce l'interpellation par les policiers avant le retour de la victime, ainsi que des délits connexes, alors :
« 1°/ que la chambre de l'instruction ne peut prononcer une mise en accusation devant la cour d'assises qu'à la condition que les faits dénoncés constituent un crime ou tentative de crime ; que la tentative d'assassinat n'est pénalement punissable qu'à la condition qu'il y ait eu un commencement d'exécution au sens des articles 121-5 et 221-3 du code pénal, lequel doit être caractérisé par l'accomplissement d'actes tendant en eux-mêmes directement et immédiatement et irrévocablement au meurtre ; que le fait d'attendre une personne devant son domicile, muni d'une arme chargée, sans le moindre commencement d'exécution ne tend pas directement et immédiatement à la consommation d'un meurtre, et ne caractérise pas le commencement d'exécution au sens des textes susvisés, ensemble l'article 132-71-1 du code pénal ;
2°/ que la tentative n'est punissable et n'est caractérisée qu'en l'état d'un commencement d'exécution et en l'absence de désistement volontaire ; qu'en considérant sans le justifier que M. Q... était entré dans la phase d'exécution de son crime, et que ce commencement d'exécution n'a été suspendu ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendante de la volonté de l'auteur, l'intervention des policiers et l'absence prolongée de Mme B... avant leur intervention, la chambre de l'instruction qui n'a relevé que de simples actes préparatoires et non un commencement d'exécution n'ayant été suspendu ou n'ayant manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, n'a pu justifier légalement sa décision au regard des articles 121-5 et 221-3 du code pénal ;
3°/ qu'au demeurant, la chambre de l'instruction n'a absolument pas caractérisé la moindre intention homicide en faisant état de simples propos émanant de tiers et de l' « expression voilée » utilisée auparavant par M. Q... relatifs à ses origines du Sud de l'Italie, aucun élément suffisamment explicite contemporain aux faits et propre au prévenu ne permettait tant d'accréditer une quelconque intention d'homicide au moment des faits, en sorte que les motifs de l'arrêt attaqué ne caractérisent pas l'incrimination de tentative d'homicide volontaire avec guet-apens au sens de l'article 221-3 du code pénal qui a été violé. »
Réponse de la Cour
13. Les moyens sont réunis.
14. Pour infirmer partiellement l'ordonnance attaquée et ordonner le renvoi de M. Q... devant la cour d'assises du chef, notamment, de tentative d'assassinat, l'arrêt attaqué relève que la personne mise en examen, en proie à un profond ressentiment envers Mme B... en raison des relations difficiles de celle-ci avec son épouse et d'une insatisfaction financière, s'est rendue devant le domicile de celle-ci où elle a attendu son retour, une arme de poing entre les deux sièges avant de sa voiture.
15. Les juges énoncent que son intention se déduit des menaces de s'en prendre physiquement à Mme B... formulées, tant avant son interpellation, lors de son passage à la pharmacie, que devant l'adjoint de sécurité qui le gardait.
16. Ils ajoutent que M. Q... a spontanément décrit lors de sa garde à vue comment il avait ordonné à son épouse et à sa fille de repartir, lorsqu'elles étaient venues le voir devant le domicile où il attendait, en pointant l'arme en main dans leur direction, manifestant ainsi une intention de s'en servir.
17. Ils retiennent que M. Q... a déclaré lors de sa garde à vue être spécialement allé à son domicile pour prendre l'arme de poing, et qu'il a de même expliqué s'être assuré que cette arme était chargée en munitions qu'il savait létales.
18. Ils déduisent de ces circonstances que M. Q... n'avait pas seulement l'intention de menacer, comme il aurait pu le faire avec une arme non chargée, ou d'exercer des violences physiques sur Mme B..., mais bien d'attenter à sa vie et ceci de façon irrévocable, compte tenu de la longueur de son attente devant le domicile.
19. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
20. En effet, les chambres de l'instruction peuvent, en application de l'article 202, alinéa 2, du code de procédure pénale, modifier et compléter les qualifications données aux faits par le ministère public ou le juge d'instruction sans ordonner une nouvelle information si les chefs de poursuite qu'elles retiennent ont été compris dans les faits pour lesquels la personne a été mise en examen par le juge d'instruction.
21. Dès lors que les éléments matériels sur lesquels la chambre de l'instruction s'appuie pour caractériser la circonstance aggravante de préméditation ont été discutés lors de l'information, la chambre de l'instruction n'avait l'obligation ni d'ordonner un complément d'information ni de provoquer de nouvelles explications des parties.
22. Par ailleurs, les juridictions d'instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge de la personne mise en examen sont constitutifs d'une infraction, la Cour de cassation n'ayant d'autre pouvoir que de vérifier si, à supposer ces faits établis, la qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize janvier deux mille vingt et un.
9 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 20-80.259, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 20-80.259, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Cassation
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 20-80.259 F-P+B+I
N° 00030
CK12 JANVIER 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 12 JANVIER 2021
Le procureur général près la cour d'appel de Versailles a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, 8e chambre, en date du 18 décembre 2019, qui a confirmé le jugement du tribunal correctionnel se déclarant non saisi des faits poursuivis.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Ménotti, conseiller, et les conclusions de Mme Caby, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. D... V... Q... , interpellé dans la nuit du 31 mai 2018 à 2 heures 03 au volant de son véhicule alors qu'il ne disposait pas du permis de conduire et qu'il s'est avéré qu'il avait conduit sous l'emprise de substances stupéfiantes, a été placé en garde à vue, puis a fait l'objet d'une prolongation de garde à vue qui a été levée le 1er juin 2018 à 8 heures 50. Il a été déféré le même jour à 13 heures 55 devant le procureur de la République qui lui a notifié sa comparution immédiate devant le tribunal correctionnel en application de l'article 395 du code de procédure pénale, des chefs de conduite sans permis et sous l'effet d'une substance stupéfiante, le tout en récidive.
3. Selon les notes d'audience, il a comparu sous escorte devant le tribunal correctionnel le 2 juin 2018 à 00 heures 47.
4. Les juges du premier degré ont rendu un jugement daté du 1er juin 2018 par lequel ils se sont déclarés non saisis des faits, dès lors que l'intéressé n'a pu être jugé le jour même en application de l'article 395 du code de procédure pénale.
5. Appel a été relevé de cette décision par le ministère public.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation de l'article 395 du code de procédure pénale.
7. Il critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement du tribunal correctionnel se déclarant non saisi des faits, alors « qu'en exigeant une comparution avant minuit, les juges ont ajouté une condition que le texte ne prévoit pas, l'intéressé ayant été présenté « sur le champ devant le tribunal » et le procès-verbal du parquet constituant l'acte irrévocable de saisine du tribunal dont la validité ne saurait dépendre des contingences matérielles liées à la durée de l'audience. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 395 du code de procédure pénale :
8. Selon cet article, lorsque les conditions d'une comparution immédiate sont remplies, le procureur de la République peut traduire, sur le champ devant le tribunal, le prévenu qui est retenu jusqu'à sa comparution qui doit avoir lieu le jour même.
9. Pour déclarer le tribunal correctionnel non saisi des faits reprochés à M. Q..., l'arrêt attaqué énonce que ces faits ne pouvaient être jugés suivant la procédure de comparution immédiate, dès lors qu'il résulte des notes d'audience qu'ils n'ont pas été examinés le jour même du défèrement, soit le 1er juin 2018, avant minuit.
10. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
11. En effet, en premier lieu, le tribunal correctionnel est irrévocablement saisi par le procès-verbal de notification établi par le procureur de la République.
12. En second lieu, l'exigence d'une comparution « le jour même » de la présentation de l'intéressé au parquet ne saurait être interprétée comme la nécessité de le juger impérativement avant minuit, mais comme celle de le faire comparaître au cours de l'audience considérée, quand bien même celle-ci se terminerait après minuit en raison de contraintes diverses.
13. Enfin, il a été satisfait à la réserve posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 décembre 2010 (n° 2010-80-QPC), dès lors que l'intéressé a été présenté à la formation du siège avant l'expiration du délai de 20 heures couru à compter de la levée de sa garde à vue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 18 décembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze janvier deux mille vingt et un.
10 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 18-86.709, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 18-86.709, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Cassation partielle sans renvoi
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 18-86.709 FS-P+B+I
N° 00025
EB212 JANVIER 2021
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 12 JANVIER 2021
M. A... B... a formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 17 octobre 2018, qui, pour travail dissimulé, l'a condamné à 15 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires en demande et en défense et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. A... B... , les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'Urssaf d'Aquitaine, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, conseiller référendaire, M. Lemoine, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Après le contrôle sur un chantier, le 17 décembre 2013, au cours duquel une personne, travaillant comme plaquiste, a déclaré être l'employé de la société portugaise Euveo de travail temporaire et détaché en France, M. B... a été poursuivi, en qualité de gérant de fait de la société, du chef de travail dissimulé par dissimulation d'activité et de salarié devant le tribunal correctionnel, qui l'a relaxé.
3. Le ministère public et l'Urssaf, partie civile, ont interjeté appel de cette décision.
Examen de la recevabilité du pourvoi formé le 23 octobre 2018
4. Le demandeur, ayant épuisé, par l'exercice qu'il en a fait le 22 octobre 2018,le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau le 23 octobre 2018 contre la même décision. Seul est recevable le premier pourvoi.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation de l'article 11 du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, et 19 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, de l'article 14, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n°118/97, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, des articles 12 et 13, paragraphe 1, du règlement, n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, des articles L. 1262-3, L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble les principe des droits de la défense et de la loyauté de la preuve pénale, défaut de motifs, défaut de réponse aux conclusions et manque de base légale.
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. B... coupable des faits qui lui étaient reprochés, soit travail dissimulé par dissimulation d'activité et travail dissimulé par dissimulation de salarié, alors :
« 1°/ qu' il se déduit des arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 27 avril 2017 (A-Rosa J... GmbH, n° C-620/15) et du 6 février 2018 (Ömer Y..., n° C- 359/16) que le juge - lorsqu'il est saisi de poursuites pénales du chef de travail dissimulé, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, et que la personne poursuivie produit des certificats E101, devenus A1, à l'égard des travailleurs concernés, délivrés au titre de l'article 14, paragraphe 1 ou 2, du règlement n° 1408/71 - ne peut, à l'issue du débat contradictoire, écarter lesdits certificats que si, sur la base de l'examen des éléments concrets recueillis au cours de l'enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement et que l'institution émettrice saisie s'était abstenue de prendre en compte, dans un délai raisonnable, il caractérise une fraude constituée, dans son élément objectif, par l'absence de respect des conditions prévues à la disposition précitée et, dans son élément subjectif, par l'intention de la personne poursuivie de contourner ou d'éluder les conditions de délivrance dudit certificat pour obtenir l'avantage qui y est attaché ; qu'en l'espèce en écartant les certificats A1 produits par M. B... , sans avoir, au préalable, recherché si l'institution portugaise émettrice desdits certificats avait été saisie d'une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci sur la base des éléments concrets recueillis dans le cadre de l'enquête judiciaire et que l'institution émettrice s'était abstenue, dans un délai raisonnable, de les prendre en considération aux fins de réexamen du bien-fondé de la délivrance desdits certificats, et, dans l'affirmative, sans établir l'existence d'une fraude constituée, dans son élément objectif, par l'absence de respect des conditions prévues à la disposition précitée et, dans son élément subjectif, par l'intention de la personne poursuivie de contourner ou d'éluder les conditions de délivrance dudit certificat pour obtenir l'avantage qui y est attaché, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et privé son arrêt de base de base légale ;
2°/qu' un employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés lorsque son activité est entièrement orientée vers le territoire national ou lorsqu'elle est réalisée dans des locaux ou avec des infrastructures situées sur le territoire national à partir desquels elle est exercée de façon habituelle, stable et continue ; qu'en ayant jugé que M. B... ne pouvait se prévaloir de la législation européenne relative aux travailleurs détachés, après avoir pourtant constaté que la société Euveo n'exerçait que 35 % de son activité en direction de la France et qu'elle n'avait pas travaillé l'intégralité de l'année 2013, outre que cette entreprise ne disposait d'aucune infrastructure en France, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
3°/ qu'un employeur peut se prévaloir de la législation européenne relative aux travailleurs détachés, sauf si son activité porte toute entière sur la prospection de clientèle en France ; qu'en ayant jugé que M. B... ne pouvait pas se prévaloir de la législation européenne applicable aux travailleurs détachés, car la société Euveo avait notamment eu pour activité la prospection de clientèle en France, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen pris en sa première branche
8. La Cour de justice de l'Union européenne juge qu'en vertu des principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, les certificats E101, devenus A1, délivrés par l'institution compétente d'un Etat membre créent une présomption de régularité de l'affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État et s'imposent à l'institution compétente et aux juridictions de l'État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans les cas prévus par le droit communautaire autorisant leur délivrance (CJUE, arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa J... GmbH, C-620/15).
9. Elle ajoute que, lorsque l'institution de l'État membre dans lequel les travailleurs ont été détachés a saisi l'institution émettrice de ces certificats d'une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci à la lumière d'éléments recueillis dans le cadre d'une enquête judiciaire ayant permis de constater qu'ils ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et que l'institution émettrice s'est abstenue de prendre en considération ces éléments aux fins du réexamen du bien-fondé de la délivrance desdits certificats, le juge national peut, dans le cadre d'une procédure diligentée contre des personnes soupçonnées d'avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de tels certificats, écarter ces derniers si, sur la base desdits éléments et dans le respect des garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à ces personnes, il constate l'existence d'une telle fraude (CJUE, arrêt du 6 février 2018, Ömer Altun, C-359/16).
10. Il en résulte, ainsi qu'elle l'a ultérieurement précisé, que le juge national doit d'abord rechercher si la procédure prévue à l'article 84 bis, paragraphe 3, du règlement n° 1408/71 a été, en amont de sa saisine, enclenchée par l'institution compétente de l'État membre d'accueil par le biais d'une demande de réexamen et de retrait de ces certificats présentée à l'institution émettrice de ceux-ci, et, si tel n'a pas été le cas, doit mettre en œuvre tous les moyens de droit à sa disposition afin d'assurer que l'institution compétente de l'État membre d'accueil enclenche cette procédure, et que ce n'est qu'après avoir constaté que l'institution émettrice s'est abstenue de procéder au réexamen de ces certificats et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur les éléments qui lui étaient présentés, qu'il peut se prononcer de manière définitive sur l'existence d'une telle fraude et écarter ces certificats (CJUE, arrêt du 2 avril 2020, Vueling Airlines SA, n° C-370/17 et C-37/18).
11. La Cour de cassation en a tiré les conséquences et a retenu que le juge, saisi de poursuites pénales du chef de travail dissimulé, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, ne peut écarter lesdits certificats que si, sur la base de l'examen des éléments concrets recueillis au cours de l'enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement et que l'institution émettrice saisie s'était abstenue de les prendre en compte, dans un délai raisonnable, il caractérise une fraude constituée, dans son élément objectif par l'absence de respect des conditions prévues à la disposition précitée et, dans son élément subjectif, par l'intention de la personne poursuivie de contourner ou d'éluder les conditions de délivrance dudit certificat pour obtenir l'avantage qui y est attaché (Crim., 18 septembre 2018, pourvoi n° 13-88.631, Bull. crim. 2018, n° 160).
12. Dans une procédure où les poursuites pour travail dissimulé n'avaient pas seulement été engagées pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, mais également pour défaut de déclaration préalable à l'embauche (DPAE), la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à l'incidence de ces certificats sur l'obligation de déclaration préalable à l'embauche et, partant, sur la portée desdits certificats sur l'application aux travailleurs concernés de la législation de l'État membre d'accueil en matière de droit du travail (Crim., 8 janvier 2019, pourvoi n° 17-82.553).
13. Dans la présente procédure, la chambre criminelle a sursis à statuer jusqu'à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne.
14. Répondant à cette question préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics, C-17/19) a énoncé que les formulaires de détachement, dits certificats E101 et A1, s'imposent aux juridictions de l'Etat sur le territoire duquel les travailleurs exercent leurs activités uniquement en matière de sécurité sociale.
15. Elle a précisé que « les certificats E101 et A1, délivrés par l'institution compétente d'un État membre, ne lient l'institution compétente et les juridictions de l'État membre d'accueil qu'en ce qu'ils attestent que le travailleur concerné est soumis, en matière de sécurité sociale, à la législation du premier État membre pour l'octroi des prestations directement liées à l'une des branches et à l'un des régimes énumérés à l'article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1408/71 ainsi qu'à l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 » (§ 47) et conclu que « ces certificats ne produisent donc pas d'effet contraignant à l'égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la sécurité sociale, au sens de ces règlements, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d'emploi et de travail de ces derniers » (§ 48).
16. S'agissant de l'analyse du droit national et en particulier de la portée de la DPAE, elle a précisé qu'il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer la portée de cette obligation déclarative.
17. Il appartient donc à la chambre criminelle de déterminer si la DPAE « a pour unique objet d'assurer l'affiliation des travailleurs concernés à l'une ou à l'autre branche du régime de sécurité sociale et, partant, à assurer le seul respect de la législation en la matière, auquel cas les certificats E101 et A1, délivrés par l'institution émettrice, feraient, en principe, obstacle à une telle obligation, ou, alternativement, si cette obligation vise également, fût-ce en partie, à garantir l'efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d'assurer le respect des conditions d'emploi et de travail imposées par le droit du travail, auquel cas ces certificats n'auraient aucune incidence sur ladite obligation, étant entendu que celle-ci ne peut, en tout état de cause, entraîner l'affiliation des travailleurs concernés à l'une ou à l'autre branche du régime de sécurité sociale » (§ 53 de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne précité).
18. Il convient de rappeler que la formalité de la DPAE a été créée par la loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991, à l'article L. 320 du code du travail, recodifié depuis lors, qui prévoyait que « l'embauche d'un salarié ne peut intervenir qu'après la déclaration nominative effectuée par l'employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet », formulation reprise dans toutes les versions successives de ce texte, puis à l'article L. 1221-10 du code du travail.
19. Les travaux parlementaires afférents à la loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992, qui a généralisé l'extension de l'obligation de procéder à la DPAE à l'ensemble du territoire national, la justifient par la considération que la lutte contre le travail clandestin est une nécessité sociale et économique (Sénat, rapport de M. O... L..., n° 16, p. 56). Une circulaire d'application du 16 septembre 1993 relative à la mise en oeuvre de la déclaration préalable à l'embauche (JO du 23 octobre 1993, page 14733) expose encore que « la déclaration préalable à l'embauche s'insère dans le dispositif de lutte contre les différentes formes de travail et d'emploi irréguliers » et que celle-ci, qui remplace l'attestation d'embauche alors en vigueur, « tend à rendre cette information plus fiable puisqu'un tiers, en l'occurrence un organisme de protection sociale, en est le destinataire et le détenteur ».
20. Or, la lutte contre le travail dissimulé recouvre plusieurs finalités qui ne la limitent pas au financement des différentes branches de la sécurité sociale, puisqu'elle permet en outre de faciliter la lutte contre la fraude fiscale, une société qui procède à une DPAE étant tenue de s'identifier, ainsi que d'assurer une concurrence non faussée entre les entreprises.
21. C'est ainsi qu'en vertu de l'article L. 1221-10 du code du travail susvisé, l'existence d'une DPAE fait présumer l'existence d'un contrat de travail qui ouvre au salarié le bénéfice de l'ensemble des droits et obligations prévus par le code du travail. Cette déclaration tend ainsi à favoriser les contrôles opérés par l'inspection du travail sur le respect desdits droits et obligations, l'employeur devant s'il conteste l'existence d'un tel contrat de travail en établir le caractère fictif.
22. D'ailleurs, en vertu de l'article R. 1221-2 du code du travail, dans sa version applicable aux faits, la DPAE permet à l'employeur, non seulement, d'accomplir les déclarations et demandes tendant aux immatriculations et affiliations à divers régimes de sécurité sociale (assurance maladie et assurance chômage), mais également la demande de l'examen médical d'embauche, prévu à l'article R. 4624-10 dudit code, ou, s'il s'agit d'un salarié agricole, à l'article R. 717-14 du code rural et de la pêche maritime.
23. Il résulte de l'article R. 4624-11 du code du travail, dans sa version applicable à la date des faits, que l'examen médical d'embauche a notamment pour finalité de s'assurer que le salarié est médicalement apte au poste de travail auquel l'employeur envisage de l'affecter, de lui proposer éventuellement les adaptations du poste ou l'affectation à d'autres postes, et de l'informer sur les risques des expositions au poste de travail et le suivi médical nécessaire.
24. Obligatoire avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai, cet examen médical doit être réalisé par le médecin du travail. Il assure ainsi l'efficacité du contrôle par la médecine du travail des règles destinées à préserver la santé des travailleurs.
25. Il résulte de ces considérations que la DPAE vise, au moins en partie, à garantir l'efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d'assurer le respect des conditions d'emploi et de travail imposées par le droit du travail.
26. Dès lors, il y a lieu d'en conclure que l'existence de certificats E101 et A1 ne fait pas obstacle à une condamnation du chef de travail dissimulé pour omission de procéder à la DPAE.
27. Le grief ne saurait donc être admis.
Sur le premier moyen pris en ses deuxième et troisième branches
28. Pour rejeter le moyen tiré de l'existence d'un détachement de salariés, l'arrêt énonce que, des éléments de preuve contradictoirement débattus, il résulte que l'activité de la société portugaise Euveo était habituelle, stable et continue en France, où elle a prospecté et recherché une clientèle.
29. Les juges ajoutent que, sur la période de prévention, cette société n'a embauché des salariés, près de cent-quarante, que pour les employer en France et s'est chargée de leur logement et de leur encadrement sur les chantiers.
30. Ils en déduisent que son activité en France ne relevant pas des règles du détachement, elle devait y créer un établissement, en sollicitant son immatriculation au répertoire des métiers ou des entreprises ou au registre du commerce et des sociétés et en procédant à la déclaration nominative préalable à l'embauche.
31. En l'état de ces constatations et énonciations, et dès lors que l'élément matériel du délit de travail dissimulé par dissimulation d'activité, par suite d'un défaut d'immatriculation ainsi que de déclarations attachées à l'exercice d'une activité économique en France, est caractérisé lorsque se développe sur le territoire national une telle activité de manière habituelle, stable et continue, relevant à ce titre des règles relatives au droit d'établissement et non de la liberté de prestation de services, la cour d'appel a justifié sa décision.
32. Ainsi, le moyen doit être rejeté.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
33. Le moyen est pris de la violation des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, 1382 ancien du code civil, défaut de motifs, défaut de réponse aux conclusions et manque de base légale.
34. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'Urssaf d'Aquitaine et a condamné M. B... à lui régler une indemnité de 1 000 euros, alors « que l'action n'est recevable que si la personne qui l'exerce a souffert personnellement du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en ayant accueilli la constitution de partie civile de l'Urssaf d'Aquitaine, au simple motif qu'elle avait engagé un contrôle contre le prévenu et avait poursuivi des démarches judiciaires, quand il ne s'agissait que de la mission qui lui a été confiée, la cour d'appel a violé les textes susvisés et insuffisamment motivé son arrêt. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2 du code de procédure pénale :
35. Il résulte de ce texte que l'action civile n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.
36. Pour déclarer recevable la constitution de partie civile de l'URSSAF d'Aquitaine et condamner le prévenu à lui verser des dommages-intérêts, l'arrêt retient que celle-ci a subi un préjudice résultant de l'ampleur de sa mission de contrôle et des démarches judiciaires qu'elle a dû engager.
37. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
38. En effet, les organismes de protection sociale nationaux ne sauraient prétendre avoir subi un préjudice lorsque, comme en l'espèce, la validité du certificat ne peut être contestée, faute de retrait dudit certificat par l'organisme qui l'a émis, ou faute d'établissement de la preuve d'une fraude conformément à la doctrine de la Cour de justice de l'Union européenne, telle qu'elle a été notamment fixée par l'arrêt du 6 février 2018, Ömer Altun, n° C-359/16, et rappelée par la chambre criminelle par plusieurs arrêts du 18 septembre 2018 (pourvoi n° 13-88.631, Bull. crim. 2018, n° 160, notamment), et qu'en conséquence les salariés concernés ne peuvent qu'être regardés comme régulièrement affiliés au régime de sécurité sociale de l'Etat ayant émis le certificat. Cette solution se déduit également de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 avril 2020, Vueling Airlines SA, n° C-370/17 et C-37/18, §§ 97 et 98.
39. La cassation est par suite encourue sur les seuls intérêts civils.
40. N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE irrecevable le pourvoi formé le 23 octobre 2018 ;
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 17 octobre 2018, mais en ses seules dispositions ayant prononcé sur les intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DÉCLARE irrecevable la constitution de partie civile de l'Urssaf d'Aquitaine ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux, et sa mention en marge de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze janvier deux mille vingt et un.
11 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 17-82.553, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 17-82.553, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 17-82.553 FS-P+B+I
N° 00024
EB212 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 12 JANVIER 2021
Les sociétés Bouygues travaux publics, Elco construct Bucarest et Welbond armatures ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 20 mars 2017, qui, pour recours aux services de travailleurs dissimulés et prêt illicite de main d'oeuvre, a condamné la première à 29 950 euros d'amende et la troisième à 15 000 euros d'amende et, pour travail dissimulé, a condamné la deuxième à 60 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires en demande, en défense et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société Bouygues travaux publics, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Elco construct Bucarest, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Welbond armatures, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, conseiller référendaire, M. Lemoine, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société Bouygues travaux publics (la société Bouygues), ayant obtenu l'attribution de marchés pour la construction, à Flamanville, d'un réacteur nucléaire de nouvelle génération, a constitué pour leur exécution, avec deux autres entreprises, une société en participation, laquelle a sous-traité à un groupement d'intérêt économique composé, notamment, de la société Welbond armatures (la société Welbond).
3. Ce groupement a eu recours à d'autres sous-traitants, dont la société Elco construct Bucarest (la société Elco), et à une société de travail temporaire Atlanco limited (la société Atlanco).
4. Après une dénonciation sur les conditions d'hébergement de travailleurs étrangers, un mouvement de grève de salariés intérimaires polonais portant sur l'absence ou l'insuffisance de couverture sociale en cas d'accident, ainsi que la révélation de plus d'une centaine d'accidents du travail non déclarés, et l'enquête menée par l'Autorité de sûreté nucléaire, puis par les services de police, les sociétés Bouygues, Welbond et Elco ont été poursuivies pour des faits compris entre juin 2008 et octobre 2012, notamment, des chefs susénoncés devant le tribunal correctionnel.
5. La société Elco a été notamment déclarée coupable du chef de travail dissimulé par dissimulation de salariés, faute d'avoir procédé aux déclarations préalables à l'embauche et aux déclarations aux organismes de protection sociale appropriées.
6. La société Bouygues et la société Welbond ont été notamment déclarées coupables des chefs de recours aux services de la société Atlanco, entreprise de travail intérimaire ayant omis de s'immatriculer au registre du commerce et des sociétés et ayant dissimulé l'emploi de salariés, faute d'avoir procédé aux déclarations préalables à l'embauche de salariés ainsi qu'aux déclarations relatives aux organismes de protection sociale appropriées. Elles ont également été reconnues coupables du chef de prêt illicite de main d'oeuvre du fait de leurs relations contractuelles avec la société Atlanco.
7. Les sociétés Elco, Welbond et Bouygues ont relevé appel, avec le ministère public.
Examen des moyens
Sur le premier moyen proposé pour la société Elco
Sur le premier moyen proposé pour la société Welbond
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen proposé pour la société Bouygues
Enoncé du moyen
9. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1262-2, L. 8224-5, L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5, 8243-1, 8243-2 et 8241-1 du Code du travail, préliminaire, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale.
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la demanderesse coupable pour avoir sciemment eu recours aux services de la société Atlanco, employeur dissimulant l'emploi de ses salariés, et pour prêt de main d'oeuvre illicite, alors :
« 1°/ que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention ; qu'en l'espèce, la citation reprochait à Bouygues TP d'avoir eu recours « aux services des sociétés Elco Construct et Atlanco, employeurs dissimulant sciemment l'emploi d'au moins 460 salariés » et « de s'être fait mettre à disposition au moins 163 salariés par la société Atlanco et 297 salariés par la société Elco » ; que parmi les 460 salariés ainsi visés à la prévention, 297 ont été mis à disposition par la société Elco construct, la société exposante ayant été relaxée pour les faits en lien avec cette dernière société ; qu'il résulte tant de la citation délivrée à la société Atlanco que des termes de la note de synthèse établie à l'issue de l'enquête préliminaire que les 163 salariés restant visés par la citation ont uniquement été mis à disposition de la société Welbond ; qu'en statuant sur des faits relatifs au contrat conclu entre Atlanco et Bouygues TP, qui n'étaient manifestement pas compris dans la saisine, la cour d'appel a violé l'article 388 du code de procédure pénale ;
2°/ que la cour d'appel qui constatait elle-même à plusieurs reprises que la citation comportait une « erreur » ou à tout le moins une « imprécision », ne pouvait s'estimer saisie de faits correspondant à la mise à disposition de salariés par Atlanco à une autre société que Bouygues TP, sans violer de plus fort les textes visés au moyen ;
3°/ que la critique tirée du dépassement de sa saisine par la juridiction de jugement, en violation de la règle selon laquelle cette dernière ne peut s'autosaisir, est distincte de celle tirée de l'imprécision des termes de la prévention, aboutissant à une violation des droits de la défense ; qu'en l'espèce, Bouygues TP faisait valoir que la cour d'appel n'était pas saisie des faits liés au contrat qu'elle avait conclu avec la société Atlanco ; qu'en considérant, pour écarter cette critique, que « la société Bouygues ne peut [] prétendre qu'elle ne savait pas qu'elle était poursuivie pour recours au travail dissimulé en lien avec la société Atlanco Limited, ce qui suffit pour valider la citation, observation faite que cette connaissance des poursuites était si précise qu'elle est capable de rectifier le chiffre, erroné ou imprécis, avancé par le ministère public », la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants ;
4°/ que la note de synthèse établie par le ministère public, à la lumière de laquelle la citation doit être lue, ne comporte le nom que de 460 salariés ; qu'en conséquence, c'est à tort que la cour d'appel a estimé que l'« erreur » commise par le parquet dans la citation porterait sur une « donnée totalement superfétatoire » dès lors que la mention « au moins » permettrait de retenir un chiffre supérieur ;
5°/ qu'enfin, la société demanderesse faisait valoir, dans ses conclusions déposées en première instance, que les salariés visés à la prévention n'avaient été mis qu'à la disposition de la société Welbond Armatures ; qu'il ressort par ailleurs des notes d'audience devant le tribunal correctionnel qu'elle a expressément soutenu au cours des débats ne pas être poursuivie pour les faits relatifs au contrat qu'elle avait conclu avec Atlanco ; que l'argument tiré de ce que les juges ne pouvaient statuer sur ces faits sans outrepasser l'étendue de leur saisine ne pouvait être retenu au motif qu'il n'avait pas été soulevé devant les premiers juges, la cour d'appel a affirmé un fait en contradiction avec les pièces de la procédure. »
Réponse de la Cour
11. Pour écarter l'argumentation proposée par la société Bouygues selon laquelle les seconds juges se seraient à tort considérés saisis de poursuites à son encontre du chef de recours aux services, notamment, de la société Atlanco, employeur dissimulant, avec la société Elco, l'emploi d'au moins quatre cent soixante salariés, l'arrêt énonce que l'éventuelle erreur sur le nombre de salariés concernés ne saurait s'analyser qu'en une simple imprécision, puisque l'autorité de poursuite a indiqué que les salariés concernés étaient « au moins » du nombre qu'elle mentionnait, ce qui permet de retenir un chiffre supérieur, et qu'elle porte sur une donnée totalement superfétatoire.
12. Les juges ajoutent que la société Bouygues ne peut prétendre qu'elle ne savait pas qu'elle était poursuivie pour recours au travail dissimulé en lien avec la société Atlanco Limited, ce qui suffit pour valider la citation, observation faite que cette connaissance des poursuites était si précise qu'elle est capable de rectifier le chiffre, erroné ou imprécis, avancé par le ministère public.
13. En prononçant par ces motifs, la cour d'appel a justifié sa décision.
14. D'où il suit que le moyen ne saurait être admis.
Sur le quatrième moyen proposé pour la société Welbond
Enoncé du moyen
15. Le moyen est pris de la violation des articles 56 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), des articles 13§1 du règlement CE n°883/2004 et 14, § 2, du règlement CEE n°1408/71, des articles 19§2 du règlement CE n°987/2009 et 12 bis du règlement CEE n°574/72, et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à sursis à statuer et à saisine de la Cour de justice de l'Union européenne, alors :
«1°/ que la détermination d'une éventuelle fraude aux organismes de sécurité sociale français protégés par les disposions pénales prévoyant et réprimant le travail dissimulé nécessitait bien que soient au préalable éclaircies les conditions d'application des règlements européens n°883/2004 et 1408/71 ainsi que de leurs règlements d'application qui ont pour objectif de fixer des règles communes de détermination de la législation applicable en matière de sécurité sociale ; qu'en affirmant que la cour avait pu trancher le litige sans se pencher inutilement sur l'application des règles de sécurité sociale dans le cadre d'une prétendue activité en alternance, quand la condamnation prononcée reposait sur une interprétation contestée des règles européennes relatives au détachement dont dépendait directement la détermination de la législation sociale applicable, après avoir précisément écarté le régime de l'alternance pourtant revendiqué par la prévenue sur le fondement des règlements européens précités, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision de refus de sursis à statuer et de rejet de la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles ;
2°/ qu'en application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, il appartient à la chambre criminelle dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une demande en interprétation des conditions d'application des règlements européens n°883/2004 et 1408/71 ainsi que de leurs règlements d'application, s'il lui apparaît que cette demande est seule susceptible de permettre de déterminer de façon certaine, au regard de la complexité de la situation, si les travailleurs polonais mis à disposition de la société Welbond Armatures par la société Atlanco, devaient ou non bénéficier du régime de protection sociale français comme le soutient le ministère public ; que dans cette hypothèse, il y aura lieu de soumettre à la Cour de justice les questions suivantes. »
Réponse de la Cour
17. Il résulte de la transmission par la Cour de cassation, en la présente affaire, d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (Crim., 8 janvier 2019, pourvoi n°17-82.553), qui a donné lieu à l'arrêt de ladite Cour en date du 14 mai 2020 (affaire C-17/19), que le moyen est devenu sans objet.
Sur le deuxième moyen, pris en sa huitième branche, proposé pour la société Elco
Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour la société Bouygues
Enoncé des moyens
18. Le deuxième moyen proposé pour la société Elco est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 56 du TFUE (anciennement 49 du Traité de la Communauté européenne, TCE), L. 1261-1 à L. 1262-5 du code du travail, 111-4, 112-1 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense.
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société Elco Construct coupable du délit de travail dissimulé, par personne morale, par absence de déclaration préalable à l'embauche et par soustraction volontaire aux déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales auprès des organismes habilités, l'a condamnée à une peine d'amende de 60 000 euros et, statuant sur l'action civile, a déclaré la société Elco Construct seule responsable du préjudice subi par l'union départementale des syndicats CGT de la Manche et la Fédération nationale CGT des salariés de la construction, du bois et de l'ameublement, et l'a condamnée à payer à chacune de ces deux parties, à titre de dommages-intérêts, une somme de 1 000 euros et sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, pour l'intégralité de la procédure, une somme de 1 200 euros, alors :
« 8°/ que le délit de travail dissimulé n'est constitué que si l'employeur n'a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale ; que lorsque, en cas de détachement de travailleurs au sein de l'Union européenne, un Etat a délivré à l'employeur un certificat E101 (devenu certificat A1) celui-ci vaut présomption de régularité d'affiliation et partant de lien organique entre l'entreprise employeur et le travailleur détaché, condition de validité du détachement ; que tant qu'il n'est pas retiré ou déclaré invalide, le certificat E101 s'impose dans l'ordre juridique interne de l'État membre dans lequel sont détachés les travailleurs concernés et lie ses juridictions pénales ; que le juge pénal français, saisi d'une prévention pour travail dissimulé, ne peut remettre en cause la validité de l'affiliation de travailleurs à un organisme de sécurité sociale d'un autre Etat, qui a délivré à l'employeur un tel certificat ni le lien organique entre l'entreprise employeur et le salarié, sur lequel il est fondé ; qu'en l'espèce, il résultait des éléments aux débats et ainsi que le faisait valoir l'exposante (ses conclusions, p. 25, dernier alinéa) que la société Elco construct avait fourni à l'Etat d'accueil les attestations E101 (devenues certificats A1) pour les salariés qu'elle avait détachés en France, et que par conséquent il existait une présomption de régularité de ces détachement ; qu'en se bornant pourtant à énoncer, pour juger que la société Elco construct était coupable du délit de travail dissimulé, que les conditions de l'activité des travailleurs concernés n'entrent pas dans le champ d'application matériel du détachement, a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées. »
20. Le troisième moyen proposé pour la société Bouygues est pris de la violation des articles L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1262-2, L. 8224-5, L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4 et L. 8221-5 du code du travail, 111-3, 111-4 et 121-3 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.
21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la demanderesse coupable d'avoir eu recours sciemment aux services de la société Atlanco, entreprise poursuivie et condamnée par défaut du chef de travail dissimulé, ainsi que de prêt de main d'oeuvre illicite, alors :
« 3°/ qu'il résulte de la jurisprudence récente de la CJUE qu'un certificat E101 délivré par l'institution désignée par l'autorité compétente d'un État membre, au titre de l'article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71, lie tant les institutions de sécurité sociale de l'État membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet État membre, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans le champ d'application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/7 ; qu'en retenant l'intention de la société Bouygues TP de recourir à une société exerçant un travail dissimulé lorsqu'Atlanco lui présentait pourtant des certificats E101 attestant de l'affiliation de ses salariés au régime de sécurité sociale cypriote, la cour d'appel a méconnu les dispositions du droit de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
22. Les moyens sont réunis.
23. La Cour de justice de l'Union européenne juge qu'en vertu des principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, les certificats E101, devenus A1, délivrés par l'institution compétente d'un Etat membre créent une présomption de régularité de l'affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État et s'imposent à l'institution compétente et aux juridictions de l'État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans les cas prévus par le droit communautaire autorisant leur délivrance (CJUE, arrêt du 27 avril 2017, A-S... W... GmbH, C-620/15).
24. Elle ajoute que, lorsque l'institution de l'État membre dans lequel les travailleurs ont été détachés a saisi l'institution émettrice de ces certificats d'une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci à la lumière d'éléments recueillis dans le cadre d'une enquête judiciaire ayant permis de constater qu'ils ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et que l'institution émettrice s'est abstenue de prendre en considération ces éléments aux fins du réexamen du bien-fondé de la délivrance desdits certificats, le juge national peut, dans le cadre d'une procédure diligentée contre des personnes soupçonnées d'avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de tels certificats, écarter ces derniers si, sur la base desdits éléments et dans le respect des garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à ces personnes, il constate l'existence d'une telle fraude (CJUE, arrêt du 6 février 2018, Ömer Altun, C-359/16).
25. Il en résulte, ainsi qu'elle l'a ultérieurement précisé, que le juge national doit d'abord rechercher si la procédure prévue à l'article 84 bis, paragraphe 3, du règlement n° 1408/71 a été, en amont de sa saisine, enclenchée par l'institution compétente de l'État membre d'accueil par le biais d'une demande de réexamen et de retrait de ces certificats présentée à l'institution émettrice de ceux-ci, et, si tel n'a pas été le cas, doit mettre en œuvre tous les moyens de droit à sa disposition afin d'assurer que l'institution compétente de l'État membre d'accueil enclenche cette procédure, et que ce n'est qu'après avoir constaté que l'institution émettrice s'est abstenue de procéder au réexamen de ces certificats et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur les éléments qui lui étaient présentés, qu'il peut se prononcer de manière définitive sur l'existence d'une telle fraude et écarter ces certificats (CJUE, arrêt du 2 avril 2020, Vueling Airlines SA, n° C-370/17 et C-37/18).
26. La Cour de cassation en a tiré les conséquences et a retenu que le juge, saisi de poursuites pénales du chef de travail dissimulé, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, ne peut écarter lesdits certificats que si, sur la base de l'examen des éléments concrets recueillis au cours de l'enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement et que l'institution émettrice saisie s'était abstenue de les prendre en compte, dans un délai raisonnable, il caractérise une fraude constituée, dans son élément objectif par l'absence de respect des conditions prévues à la disposition précitée et, dans son élément subjectif, par l'intention de la personne poursuivie de contourner ou d'éluder les conditions de délivrance dudit certificat pour obtenir l'avantage qui y est attaché (Crim., 18 septembre 2018, pourvoi n° 13-88.631, Bull. crim. 2018, n° 160).
27. Les poursuites pour travail dissimulé n'ayant pas seulement été engagées, dans la présente procédure, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, mais également pour défaut de déclaration préalable à l'embauche (DPAE), la Cour de cassation a, par arrêt du 8 janvier 2019, saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à l'incidence de ces certificats sur l'obligation de déclaration préalable à l'embauche et, partant, sur la portée desdits certificats sur l'application aux travailleurs concernés de la législation de l'État membre d'accueil en matière de droit du travail.
28. Répondant à cette question préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics, C-17/19) a énoncé que les formulaires de détachement, dits certificats E101 et A1, s'imposent aux juridictions de l'Etat sur le territoire duquel les travailleurs exercent leurs activités uniquement en matière de sécurité sociale.
29. Elle a précisé que « les certificats E101 et A1, délivrés par l'institution compétente d'un État membre, ne lient l'institution compétente et les juridictions de l'État membre d'accueil qu'en ce qu'ils attestent que le travailleur concerné est soumis, en matière de sécurité sociale, à la législation du premier État membre pour l'octroi des prestations directement liées à l'une des branches et à l'un des régimes énumérés à l'article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1408/71 ainsi qu'à l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 » (§ 47) et conclu que « ces certificats ne produisent donc pas d'effet contraignant à l'égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la sécurité sociale, au sens de ces règlements, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d'emploi et de travail de ces derniers » (§ 48).
30. S'agissant de l'analyse du droit national et en particulier de la portée de la DPAE, elle a précisé qu'il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer la portée de cette obligation déclarative.
31. Il appartient donc à la chambre criminelle de déterminer si la DPAE « a pour unique objet d'assurer l'affiliation des travailleurs concernés à l'une ou à l'autre branche du régime de sécurité sociale et, partant, à assurer le seul respect de la législation en la matière, auquel cas les certificats E101 et A1, délivrés par l'institution émettrice, feraient, en principe, obstacle à une telle obligation, ou, alternativement, si cette obligation vise également, fût-ce en partie, à garantir l'efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d'assurer le respect des conditions d'emploi et de travail imposées par le droit du travail, auquel cas ces certificats n'auraient aucune incidence sur ladite obligation, étant entendu que celle-ci ne peut, en tout état de cause, entraîner l'affiliation des travailleurs concernés à l'une ou à l'autre branche du régime de sécurité sociale » (§ 53 de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne précité).
32. Il convient de rappeler que la formalité de la DPAE a été créée par la loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991, à l'article L. 320 du code du travail, recodifié depuis lors, qui prévoyait que « l'embauche d'un salarié ne peut intervenir qu'après la déclaration nominative effectuée par l'employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet », formulation reprise dans toutes les versions successives de ce texte, puis à l'article L. 1221-10 du code du travail.
33. Les travaux parlementaires afférents à la loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992, qui a généralisé l'extension de l'obligation de procéder à la DPAE à l'ensemble du territoire national, la justifient par la considération que la lutte contre le travail clandestin est une nécessité sociale et économique (Sénat, rapport de M. K... U..., n° 16, p. 56). Une circulaire d'application du 16 septembre 1993 relative à la mise en oeuvre de la déclaration préalable à l'embauche (JO du 23 octobre 1993, page 14733) expose encore que « la déclaration préalable à l'embauche s'insère dans le dispositif de lutte contre les différentes formes de travail et d'emploi irréguliers » et que celle-ci, qui remplace l'attestation d'embauche alors en vigueur, « tend à rendre cette information plus fiable puisqu'un tiers, en l'occurrence un organisme de protection sociale, en est le destinataire et le détenteur ».
34. Or, la lutte contre le travail dissimulé recouvre plusieurs finalités qui ne la limitent pas au financement des différentes branches de la sécurité sociale, puisqu'elle permet en outre de faciliter la lutte contre la fraude fiscale, une société qui procède à une DPAE étant tenue de s'identifier, ainsi que d'assurer une concurrence non faussée entre les entreprises.
35. C'est ainsi qu'en vertu de l'article L. 1221-10 du code du travail susvisé, l'existence d'une DPAE fait présumer l'existence d'un contrat de travail qui ouvre au salarié le bénéfice de l'ensemble des droits et obligations prévus par le code du travail. Cette déclaration tend ainsi à favoriser les contrôles opérés par l'inspection du travail sur le respect desdits droits et obligations, l'employeur devant s'il conteste l'existence d'un tel contrat de travail en établir le caractère fictif.
36. D'ailleurs, en vertu de l'article R. 1221-2 du code du travail, dans sa version applicable sur une partie de la période de prévention, la DPAE permet à l'employeur, non seulement, d'accomplir les déclarations et demandes tendant aux immatriculations et affiliations à divers régimes de sécurité sociale (assurance maladie et assurance chômage), mais également la demande de l'examen médical d'embauche, prévu à l'article R. 4624-10 dudit code, ou, s'il s'agit d'un salarié agricole, à l'article R. 717-14 du code rural et de la pêche maritime.
37. Il résulte de l'article R. 4624-11 du code du travail, dans sa version applicable à la date des faits, que l'examen médical d'embauche a notamment pour finalité de s'assurer que le salarié est médicalement apte au poste de travail auquel l'employeur envisage de l'affecter, de lui proposer éventuellement les adaptations du poste ou l'affectation à d'autres postes, et de rechercher s'il n'est pas atteint d'une affection dangereuse pour les autres travailleurs.
38. Obligatoire avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai, cet examen médical doit être réalisé par le médecin du travail. Il assure ainsi l'efficacité du contrôle par la médecine du travail des règles destinées à préserver la santé des travailleurs.
39. Il résulte de ces considérations que la DPAE vise, au moins en partie, à garantir l'efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d'assurer le respect des conditions d'emploi et de travail imposées par le droit du travail.
40. Dès lors, il y a lieu d'en conclure que l'existence de certificats E101 et A1 ne fait pas obstacle à une condamnation du chef de travail dissimulé pour omission de procéder à la DPAE.
41. De même, le délit de travail dissimulé tant par dissimulation de salariés que par dissimulation d'activité peut être établi, nonobstant la production de certificats E101 ou A1, lorsque les obligations déclaratives qui ont été omises ne sont pas seulement celles afférentes aux organismes de protection sociale (article L. 8221-3, 2°, du code du travail) ou aux salaires ou aux cotisations sociales (article L. 8221-5, 3°, du code du travail). Il en est ainsi par exemple, lorsqu'a été omise l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, dans le cas de la dissimulation d'activité.
42. En l'espèce, si les prévenus ont été reconnus coupables au titre de l'omission d'obligations déclaratives ayant pour unique objet d'assurer l'affiliation des travailleurs concernés à l'une ou à l'autre branche du régime de sécurité sociale, ils l'ont été également au titre d'un défaut d'inscription au registre du commerce et des sociétés et d'un défaut de DPAE.
43. La production de certificats E101 ou A1 pour certains ou tous les salariés concernés n'était pas de nature à interdire à la juridiction de déclarer établis ces derniers faits, qui à eux seuls suffisent à fonder les condamnations prononcées du chef de travail dissimulé, délit défini de façon unitaire par l'article L. 8221-1, 1°, du code du travail, et de recours au travail dissimulé.
44. En conséquence, et dès lors, s'agissant du grief de la société Bouygues, que la cour d'appel expose que l'intéressée n'a pas tiré les enseignements des observations et réclamations portant sur l'obtention des certificats E101 ou A1 et a poursuivi pendant plus d'un mois, du 10 mai au 27 juin 2011, l'emploi des travailleurs polonais, les griefs seront écartés.
Sur le deuxième moyen, pris en ses première à septième et neuvième branches, proposé pour la société Elco
Sur le deuxième moyen proposé pour la société Bouygues
Sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposé pour la société Bouygues
Sur le quatrième moyen proposé pour la société Bouygues
Sur le deuxième moyen proposé pour la société Welbond
Sur le troisième moyen proposé pour la société Welbond
Enoncé des moyens
45. Le deuxième moyen proposé pour la société Elco est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 56 du TFUE (anciennement 49 du TCE), L. 1261-1 à L. 1262-5 du code du travail, 111-4, 112-1 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense.
46. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société Elco Construct coupable du délit de travail dissimulé, par personne morale, par absence de déclaration préalable à l'embauche et par soustraction volontaire aux déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales auprès des organismes habilités, l'a condamnée à une peine d'amende de 60 000 euros et, statuant sur l'action civile, a déclaré la société Elco Construct seule responsable du préjudice subi par l'union départementale des syndicats CGT de la Manche et la Fédération nationale CGT des salariés de la construction, du bois et de l'ameublement, et l'a condamnée à payer à chacune de ces deux parties, à titre de dommages-intérêts, une somme de 1 000 euros et sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, pour l'intégralité de la procédure, une somme de 1 200 euros, alors :
« 1°/ que, l'article L. 1262-3 du code du travail dans sa version issue de la loi du 2 août 2005 prévoit que seul est exclu du bénéfice des dispositions dérogatoires du détachement de salariés, et peut commettre le délit de travail dissimulé, l'employeur d'un Etat membre de l'Union Européenne dont l'activité est entièrement orientée vers le territoire national ou qui exerce en France une activité de façon habituelle, stable et continue, depuis des locaux et avec des infrastructures situées sur le territoire national ; qu'en l'espèce, il était constant que la société Elco Construct, prévenue, avait eu une activité en France se limitant à la réalisation d'un chantier et que son activité n'avait jamais été entièrement orientée vers le territoire Français, qu'elle n'avait jamais recruté de salariés en France pour son activité, qu'elle n'avait implanté aucune succursale et n'avait pas eu de représentant légal en France, qu'elle y avait exercé une activité temporaire, sans aucun caractère permanent, que sa présence se limitait à la réalisation du chantier de Flammanville et avait pris fin avec la fin du contrat de sous-traitance en 2012 ; qu'il s'en déduisait que la société prévenue pouvait légitiment bénéficier des dispositions sur le détachement et n'avait pas commis d'infraction de travail dissimulé ; qu'en jugeant cependant que la société prévenue ne pouvait bénéficier des dispositions dérogatoires sur le détachement des salariés en France et qu'elle avait commis l'infraction de travail dissimulé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
2°/ qu'en vertu du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, une loi nouvelle qui étend le champ d'une incrimination pénale est défavorable au prévenu, et n'est pas applicable aux faits commis antérieurement à sa promulgation et non encore définitivement jugés ; qu'en déclarant la société Elco Construt coupable du délit de travail dissimulé pour la raison que la gestion administrative des salariés détachés n'avait pas été assurée par la société roumaine, quand une telle condition d'exclusion des dispositions sur le détachement n'avait été prévue que dans la version de l'article L. 1262-3 du code du travail, issue de la loi du 6 août 2015, modifiant dans un sens plus sévère l'incrimination du comportement de la société employeur de droit étranger, et qui par conséquent ne pouvait s'appliquer rétroactivement aux faits poursuivis commis entre juin 2008 et février 2012, la cour d'appel a violé le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, ensemble les textes précités ;
3°/ que la contradiction de motifs équivaut à l'absence de motifs ; que la cour d'appel ne pouvait sans se contredire affirmer, d'une part que la société Elco Construct n'avait pas en France de réelle activité de gestion ou administrative et, d'autre part, juger que la société Elco Construct avait en France une réelle activité de gestion administrative des salariés Roumains pour retenir le délit de travail dissimulé ;
4°/ qu'en vertu du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, une norme nouvelle qui étend le champ d'une incrimination pénale est défavorable au prévenu, et n'est pas applicable aux faits antérieurement commis et non encore définitivement jugés ; qu'en se fondant sur le guide pratique de la législation applicable aux travailleurs dans l'espace économique européen en date de novembre 2012, estimant à 25 % le chiffre d'affaires maximum pouvant être réalisé dans l'Etat d'envoi, et pour se prononcer sur l'activité de la société Elco Construct en Roumanie et dire qu'elle était accessoire par rapport à celle qu'elle avait en France sur le chantier litigieux et retenir l'incrimination de délit de travail dissimulé, la cour d'appel s'est fondée sur un texte postérieur à la période de prévention et a violé le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, ensemble les textes précités ;
5°/ qu'en tout état de cause les juges du fond sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont régulièrement saisis ; que la demanderesse, faisait valoir que les règlements communautaires n° 883/2004 et n° 987/2009 n'étaient pas applicables à la question du détachement de salariés d'une entreprise ; qu'elle soutenait d'abord que lesdits règlements avaient pour but de coordonner les systèmes de sécurité sociale des différents pays et de poser les règles de conflits de lois en matière de sécurité sociale et non de définir les règles applicables au détachement ; qu'elle ajoutait que ces règlements s'appliquaient pour régler les cas de salariés pris individuellement en déterminant la loi sociale applicable mais n'avaient pas une portée générale, ne pouvaient pas viser un ensemble de salariés et donc certainement pas la question du détachement des salariés d'une entreprise ; qu'elle observait enfin que lesdits règlements n'avaient aucune portée pénale ; qu'en statuant sur l'existence de l'infraction de travail dissimulé, sans aucunement examiner cette question de l'inapplicabilité des règlements litigieux au litige, la cour d'appel a omis de répondre à une articulation essentielle du mémoire de la prévenue ;
6°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que le juge pénal n'a pas le pouvoir de suppléer par analogie ou induction aux silences de la loi, ni d'en étendre le champ d'application en dehors des cas limitativement prévus par le texte ; que le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale s'oppose à ce que le texte de l'article L. 1262-3 du code du travail - déterminant les cas d'exclusion du bénéfice des règles du détachement et donc déterminant ce qui relève du délit de travail dissimulé - soit interprété en ayant recours à des règlements communautaires et à un guide pratique communautaire ; que la cour d'appel, en se référant aux règlements communautaires n° 883/2004 et n° 987/2009, ainsi qu'à un guide pratique communautaire en date de novembre 2012, pour interpréter l'article L. 1262-3 du code du travail dans sa version en vigueur au moment des faits, a retenu qu'il fallait prendre en compte plusieurs critères cumulatifs tournés vers le pays d'origine pour se prononcer sur la question du détachement : le salarié doit être détaché pour une période maximale de 24 mois, il doit, préalablement au détachement, avoir exercé une activité dans le pays d'implantation de l'employeur, et enfin l'employeur doit avoir une activité réelle dans son pays d'origine qui soit le support de vie économique de l'entreprise et non une activité de pure administration ; qu'elle a estimé qu'en l'espèce les salariés avaient été embauchés juste quelques jours avant leur départ et ne travaillaient pas ou plus pour l'employeur depuis un certain temps, que l'activité de la société Elco Construct en Roumanie était devenue accessoire par rapport à l'activité qu'elle avait en France, que la gestion administrative des salariés n'était pas assurée par la société Roumaine et que quatre salariés sur plus de 800 avaient eu une période de détachement supérieure à 24 mois, pour en conclure que la société prévenue avait une activité habituelle, stable et continue en France, pour laquelle elle avait recruté des salariés et qu'elle n'avait qu'une activité secondaire en Roumanie et retenir à l'encontre de la société prévenue le délit de travail dissimulé ; qu'elle a ainsi fait une interprétation large des conditions d'exclusion du bénéfice du détachement ajoutant au texte précité en violation du principe de l'interprétation stricte de loi pénale et des textes susvisés ;
7°/ que la société prévenue faisait valoir (ses conclusions, pp. 34 à 36) qu'elle avait en Roumanie une activité réelle ; que pour cela elle critiquait le fait de retenir sur la base d'un simple guide pratique communautaire, un seuil minimal de 25% du chiffre d'affaires pour considérer comme substantielle l'activité d'une entreprise dans son Etat d'établissement et soutenait qu'il fallait recourir à une évaluation globale prenant en compte un ensemble d'éléments pertinents ; qu'elle alléguait que la chute de la part de son activité en Roumanie en 2009 et 2011 s'expliquait par les circonstances exceptionnelles du chantier de Flamanville, qu'elle ajoutait qu'il fallait tenir compte de l'évolution du chiffre d'affaire de la société en Roumanie après la fin du chantier de Flamanville ; qu'elle démontrait qu'elle avait depuis plus de dix ans une activité substantielle de construction en Roumanie ; qu'elle en inférait que la société Elco Construct avait en Roumanie une activité présentant toutes les caractéristiques d'une activité normale, réelle, au sens des dispositions des Règlements n°883/2004 et n°987/2009 ; que la cour d'appel, en ne répondant pas à cette articulation essentielle, a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions ;
9°/ que pour être constitué le délit de travail dissimulé doit être caractérisé dans son élément intentionnel, ce qui signifie qu'il doit être établi que son auteur a eu recours au dit travail dissimulé en connaissance de cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu à l'encontre de la société Elco Construct le délit de travail dissimulé sans caractériser l'élément intentionnel de cette infraction en la personne de la société prévenue. »
47. Le deuxième moyen de cassation proposé pour la société Bouygues est pris de la violation des articles 56 et 57 du TFUE, des articles 14 du règlement (CE) 1408/71, 12 du règlement (CE) 883/2004 et 14 du règlement (CE) 987/2009, des articles 111-3, 111-4 et 121-2 du code pénal, L.123-1 du Code de commerce, L. 1261-1 à L. 1263-2, L. 8224-5, L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4 et L. 8221-5 du code du travail, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.
48. Le moyen critique l'arrêt en ce que la cour d'appel a déclaré la demanderesse coupable des chefs de travail dissimulé et de prêt illicite de main d'oeuvre en lien avec la société Atlanco Limited, alors :
« 1°/ que l'immatriculation d'une société étrangère dépourvue de siège en France ne s'impose qu'autant qu'existe un établissement en France et donc une activité stable ; qu'en déduisant l'existence d'une situation de travail dissimulé résultant d'un défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés en considération du seul fait que les conditions fixées par le Code du travail permettant à un employeur étranger de bénéficier du régime dérogatoire du détachement n'auraient pas été remplies par la société Atlanco en l'espèce, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
2°/ qu'en tout état de cause, l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne consacre le principe de la liberté de prestation de services ; que la cour de justice de l'Union européenne a pu juger que l'intervention durant trois années sur le territoire d'un Etat membre pour les besoins d'un chantier ne relève pas d'une activité stable mais d'une prestation de services (CJUE, 11 décembre 2003, N..., aff. C-215/01) ; qu'en s'abstenant d'examiner si la société Atlanco avait exercé une activité stable au sens du droit de l'Union européenne avant de la condamner pour défaut d'immatriculation, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard du droit européen ;
3°/ que par ailleurs, la cour d'appel, qui s'est bornée à relever que l'entreprise Atlanco avait des liens avec quatre Etats distincts en affirmant que « la complexité des relations ainsi établies fait que le principe de base préalable au détachement, à savoir le lien entre le travailleur et son employeur, n'est nullement respecté, n'a pas exclu l'existence d'une relation réelle entre celle-ci et ses salariés ;
4°/ que de plus, la cour d'appel ne pouvait péremptoirement affirmer que « la société Atlanco Limited n'avait aucune activité de travail temporaire à Chypre (ni d'ailleurs en Irlande) sans répondre aux conclusions qui faisaient notamment valoir qu'Atlanco disposait bien d'un siège social à Chypre, dont dépendaient les salariés mis à disposition, que deux de ses trois dirigeants résidaient à Chypre, que la gestion des salariés était elle même réalisée depuis Chypre, ou encore qu'elle était rattachée aux autorités fiscales et sociales cypriotes ;
5°/ qu'enfin, le « détachement » au sens du droit de l'Union européenne comprend notamment le régime de l'alternance prévu aux articles 14§2, b) du Règlement 1408/71 et 14§5 du Règlement 987/2009, qui permet à un salarié d'exercer des activités dans plusieurs Etats membres, et qui conduit à l'application du régime de sécurité sociale de l'Etat de résidence ou de l'Etat du siège social ; qu'à l'instar d'Atlanco devant les juridictions prudhommales, Bouygues TP faisait valoir dans ses conclusions que ce régime trouvait à s'appliquer ; qu'en excluant son applicabilité au regard de seules considérations de droit interne, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et omis de répondre à une articulation essentielle des écritures qui la saisissaient. »
49. Le troisième moyen proposé pour la société Bouygues est pris de la violation des articles L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1262-2, L. 8224-5, L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4 et L. 8221-5 du code du travail, 111-3, 111-4 et 121-3 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.
50. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la demanderesse coupable d'avoir eu recours sciemment aux services de la société Atlanco, entreprise poursuivie et condamnée par défaut du chef de travail dissimulé, ainsi que de prêt de main d'oeuvre illicite, alors :
« 1°/ que l'article L. 8221-1 du code du travail incrimine « le fait de recourir sciemment aux services de celui qui exerce un travail dissimulé » ; qu'il doit être tenu compte, pour l'appréciation de l'élément intentionnel, des spécificités de la situation de la société utilisant les salariés d'une société d'intérim située à l'étranger, la première disposant d'informations nécessairement limitées à l'égard de la seconde ; qu'en retenant que « la particularité du contrat de recrutement des travailleurs polonais, mettant en cause trois, voire quatre pays, avec la volonté évidente, pour l'employeur, de rechercher la législation sociale la moins contraignante » aurait dû conduire Bouygues TP à « s'étonner, et au besoin, interroger les autorités français », la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
2°/ que la cour d'appel ne pouvait affirmer que « les sociétés françaises sont allées au-delà des obligations légales leur incombant à l'époque [], réclamant des pièces et documents devant être communiqués avant toute entrée du travailleur intérimaire sur le site », et déduire la connaissance de Bouygues TP de l'exercice d'un travail dissimulé par Atlanco du fait qu'il n'avait été satisfait que de manière « incomplète » à ces demandes, sans s'expliquer sur l'impact de l'absence desdits documents sur l'élément moral de l'infraction. »
51. Le quatrième moyen de cassation proposé pour la société Bouygues est pris en la violation des articles L. 1251-1, L. 1251-3, L. 1262-2, L. 8224-5, L.8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4 et L. 8221-5 du code du travail, 111-3, 111-4 et 121-2 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.
52. Le moyen critique l'arrêt en ce que la cour d'appel a déclaré l'exposante coupable d'avoir eu recours sciemment aux services de la société Atlanco, entreprise poursuivie et condamnée par défaut du chef de travail dissimulé, et de prêt de main d'oeuvre illicite, alors « qu'il appartient aux juges du fond de démontrer que les faits poursuivis ont été commis par un organe ou un représentant de la personne morale au sens de l'article 121-2 du code pénal ; que la Cour d'appel ne pouvait se borner à désigner M. B... sans expliquer à quel titre celui-ci aurait agi. »
53. Le deuxième moyen de cassation proposé pour la société Welbond est pris de la violation et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 56 du TFUE, des articles 14.1 et 14.2 du règlement CEE n°1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, et 12.1 et 13.1 du règlement CE n°883/2001 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, des articles L. 1262-2, R. 1263-2, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-5, L. 8222-1, L. 8222-4, L. 8222-5, D. 8222-7 et D. 8222-8 du code du travail, des articles 121-2 et 121-3 du code pénal, et des articles préliminaire, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale.
54. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé la déclaration de culpabilité de la société Welbond Armatures du chef de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé pour les faits en lien avec la société Atlanco Limited, et l'a condamnée au paiement d'une amende de 15 000 euros et prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose que les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation ; que ce principe justifie qu'un prestataire de services puisse librement s'installer dans l'Etat membre de son choix, et développer son activité partout en Europe ; qu'il permet ainsi à une entreprise établie dans un Etat membre de l'Union européenne d'exercer de manière temporaire dans un autre Etat membre sans y être établie ; qu'en considérant que l'activité de travail temporaire de la société Atlanco constituait le délit de travail dissimulé, en raison notamment de son défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés en France, quand la mise à disposition de salariés intérimaires en France, par une société établie à Chypre ne pouvait être analysée que comme une prestation de services au sens du traité, et que les salariés mis à disposition sur le site de l'EPR par la société Atlanco ne pouvaient être considérés comme des travailleurs détachés sur le fondement de la directive 96/71du 16 décembre 1971, la cour d'appel a méconnu le principe de la libre prestation de services tel que garanti par le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et privé sa décision de toute base légale ;
2°/ que les règlements européens CEE n°1408/71 du 14 juin 1971, puis, à partir du 1er mai 2010, CE n°883/2004 du 29 avril 2004, en vigueur au moment du litige et directement applicables en droit interne, définissent le détachement temporaire comme la situation dans laquelle une personne exerce une activité salariée dans un Etat membre pour le compte d'un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail dans un autre Etat membre ; qu'il résulte de cet article que le détachement suppose une relation impliquant deux Etats membres, celui de l'Etat habituel de travail, à partir duquel le salarié est envoyé en mission et vers lequel il va revenir à l'issue de celle-ci, et l'Etat temporaire de travail ; que tel n'était pas le cas des salariés mis à disposition par la société Atlanco, qui ne pouvaient être considérés comme détachés au sens de la sécurité sociale, puisqu'ils travaillaient dans plusieurs pays d'Europe sans avoir de pays habituel de travail ; qu'en affirmant néanmoins, pour justifier de la culpabilité de la prévenue du chef de travail dissimulé, que les salariés mis à disposition par la société Atlanco, étaient clairement placés sous le régime du détachement, la cour d'appel a méconnu les règlements européens précités, et privé sa décision de toute base légale ;
3°/ qu'il résulte des articles 14.2 du règlement n°1408/71 du 14 juin 1971 et du règlement n°883/2004 du 29 avril 2004, en vigueur au moment du litige et directement applicables en droit interne, qu'il peut être également dérogé au principe de territorialité selon lequel les cotisations sociales sont dues à titre obligatoire dans l'Etat du lieu de travail du salarié lorsque la personne exerce « normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres » ; que l'article 14, § 5, du règlement d'application n°987/2009 précise que l'exercice normal d'une activité salariée dans deux Etats membres renvoie notamment au cas d'une personne « qui exerce, en alternance, pour la même entreprise ou le même employeur ou pour différentes entreprises ou différents employeurs, une ou plusieurs activités différentes dans deux Etats membres ou plus » ; que dans ses conclusions d'appel régulièrement déposées, la société Welbond Armatures avait mis en évidence que les salariés de la société Atlanco se trouvaient bien en situation d'alternance dans la mesure où leur contrat de travail prévoyait expressément qu'ils travailleraient sur divers sites d'Atlanco dans l'Union européenne, qu'il était établi qu'une partie des salariés mis à la disposition de la société Welbond Armatures avait travaillé auparavant sur le chantier de l'EPR en Finlande, et que le chantier de l'EPR à Flamanville ne pouvait être considéré comme leur lieu habituel de travail dès lors qu'ils ne travaillaient en France que pour une période limitée ; que cette analyse avait été confirmée, d'une part, par l'avis du professeur M. O... qui avait clairement affirmé que les salariés mis à disposition par la société Atlanco en France exerçaient bien des activités alternantes dans au moins deux Etats membres et étaient, en conséquence, couverts par l'article 13.1 du règlement 883/2004, et d'autre part, par l'avis de l'Avocat général près la CJUE qui, à l'occasion d'une question préjudicielle posée par l'Etat chypriote opposant un salarié polonais à la société Atlanco, avait affirmé que ces salariés relevaient du régime de l'alternance et non de la lex loci laboris ; qu'en écartant néanmoins toute situation d'alternance en affirmant que le débat ne pouvait se situer que sur le terrain du détachement, nonobstant les analyses concordantes précitées corroborées par les termes mêmes des contrats de travail des salariés d'Atlanco, la cour d'appel a méconnu les dispositions précitées de l'article 13.1 b) du règlement n°883/2004 et privé sa décision de toute base légale ;
4°/ que la charge de la preuve de la culpabilité du prévenu incombe à la partie poursuivante et que le doute profite à l'accusé ; qu'en adoptant expressément les motifs par lesquels le tribunal correctionnel avait reproché aux sociétés prévenues de n'avoir apporté aucun élément permettant d'établir pour les salariés concernés une situation d'alternance qui dérogerait au principe général, quand les parties prévenues avaient au contraire démontré que près de 75 salariés avaient travaillé sur l'EPR de Finlande et que la charge de la preuve de l'inexistence prétendue d'une situation d'alternance incombait en tout état de cause au ministère public, la cour d'appel a méconnu les règles gouvernant la charge de la preuve ensemble le principe de la présomption d'innocence ;
5°/ que toute contradiction de motifs équivaut à leur absence; qu'après avoir expressément affirmé que les salariés mis à disposition par la société Atlanco étaient clairement placés sous le régime du détachement et non, sous celui de l'alternance pourtant revendiqué par la société Welbond Armatures en raison de l'inapplicabilité des règles relatives au détachement en l'espèce, la cour d'appel affirme que le délit de travail dissimulé est constitué dans la mesure où la législation relative au détachement ne pouvait leur être applicable ; qu'en affirmant dans le même temps que les salariés de la société Atlanco relevaient du régime du détachement et que la législation du détachement ne pouvait leur être applicable, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires privant incontestablement sa décision de toute base légale ;
6°/ que si l'émission d'un certificat E101 crée une présomption de régularité de l'affiliation des travailleurs à la sécurité sociale de l'Etat émetteur liant le juge pénal, qu'il soit consécutif à un détachement ou à l'exercice d'activités sur le territoire de plusieurs Etats membres, l'absence de ce certificat ne présume en aucun cas de l'illégalité de la mise à disposition du salarié étranger et ne suffit pas, en tout état de cause, à disqualifier la situation de pluriactivité ; qu'en déduisant la culpabilité de la prévenue du chef de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé du simple fait qu'elle n'a pas été en mesure de présenter pour chaque salarié un certificat E101 en cours de validité, quand cette production n'était pas une condition légale de régularité du travail à l'étranger et qu'elle avait par ailleurs obtenu la preuve que la société Atlanco s'était bien acquittée à Chypre de l'ensemble de ses cotisations et contributions sociales, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;
7°/ qu'il résulte de la jurisprudence européenne que s'il est préférable que l'émission du certificat E101 intervienne avant le début de la période concernée, elle peut aussi être effectuée au cours de cette période, voire après son expiration, rien ne s'opposant à ce que le certificat produise, le cas échéant des effets rétroactifs ; que dès lors qu'il n'était pas contesté que la société Atlanco avait déposé des demandes de formulaires A1/E101 pour l'ensemble des travailleurs polonais visés à la prévention, la cour d'appel ne pouvait néanmoins, sans priver sa décision de toute base légale et méconnaître la jurisprudence précitée, préjuger de la culpabilité de la prévenue du chef de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé du simple fait qu'elle ne disposait pas encore, pour chaque salarié de la société Atlanco, d'un certificat en cours de validité, dans la mesure où la légalité de la mise à disposition des salariés d'Atlanco n'était pas conditionnée à la délivrance de ce certificat, lequel pouvait parfaitement intervenir à l'expiration de leur période de mise à disposition et produire des effets rétroactifs ;
8°/ qu'en vertu des dispositions transitoires de l'article 87 du nouveau règlement n°883/2004, si en raison de l'entrée en vigueur du nouveau règlement, une personne est soumise à la législation d'un Etat membre autre que celle déjà déterminée sous l'emprise de l'ancien règlement, la précédente décision continuera à s'appliquer aussi longtemps que la situation qui a prévalu reste inchangée ; que dans ses conclusions d'appel régulièrement déposées, la société Welbond Armatures faisait valoir que ces dispositions transitoires s'appliquaient aux salariés d'Atlanco puisqu'il s'agissait de salariés pour lesquels la législation applicable avait déjà été déterminée selon l'ancien règlement n°1408/71 sous condition d'un certificat E101 ; qu'il en résultait que ces salariés dont la situation était restée inchangée et qui s'étaient vus délivrer un certificat E101 dans le passé demeuraient éligibles à un certificat A1 ; qu'en persistant à déduire le délit de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé de l'absence de certificats en cours de validité, sans même tenir compte de ces dispositions transitoires permettant de considérer que les salariés s'étant vus délivrer un certificat E101 dans le passé demeuraient éligibles à un certificat A1, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision de condamnation et méconnu les dispositions précitées ;
9°/ que le délit de recours au travail dissimulé est un délit intentionnel qui suppose d'établir la preuve que l'entreprise utilisatrice a délibérément, et en parfaite connaissance de cause éludé les obligations de vérification qui lui sont imposées par le code du travail ; qu'il résulte en l'espèce des propres constatations des juges du fond que la société Welbond Armatures s'était montrée particulièrement vigilante quant à son obligation de contrôle dans la mesure où les contrats conclus avec la société Atlanco exigeaient la communication de documents allant au-delà des obligations légales lui incombant à l'époque et que la communication incomplète de certains documents avait donné lieu à des réclamations et relances insistantes de sa part auprès de la société Atlanco ; qu'il n'est par ailleurs pas contesté qu'à compter de la sommation de l'Urssaf en date du 20 juin 2011, d'enjoindre immédiatement à la société Atlanco de faire cesser la situation d'exercice de travail illégal, la société Welbond Armatures a adressé un courrier en ce sens à la société Atlanco dès le 22 juin et que tous les salariés d'Atlanco ont quitté le chantier le jour même ; que faute d'avoir obtenu la communication des pièces requises, la société Welbond Armatures a suspendu toute collaboration avec la société Atlanco dès le 25 juin 2011 ; qu'en l'état de ces constatations et éléments de fait dont il résulte incontestablement que la société Welbond Armatures avait toujours entendu respecter ses obligations de vigilance comme de diligence imposées par le code du travail, la cour d'appel s'est abstenue de tirer de ses propres constatations les conséquences légales qui s'imposaient, privant sa décision de condamnation de toute base légale ;
10°/ que le délit de recours au travail dissimulé est un délit intentionnel qui suppose que soit établie avec certitude la connaissance de la prévenue de la situation irrégulière de l'entreprise avec laquelle elle a contracté ; que dans ses conclusions régulièrement déposées, la société Welbond Armatures rappelait qu'en 2009, l'ASN et les autres services de l'Etat ont effectué des contrôles relatifs au détachement des travailleurs étrangers sur le chantier de l'EPR sans qu'aucun procès-verbal ne soit dressé ; qu'elle faisait de même valoir que l'accès au chantier de l'EPR était strictement encadré par l'Etat et soumis à une procédure d'autorisation préfectorale après un contrôle rigoureux quant à l'identité du travailleur et à l'existence de papiers en cours de validité ; que la procédure de délivrance du badge d'accès prévoyait ainsi obligatoirement la demande faite par la société Atlanco à l'ASN, la copie de la demande du certificat E101 ou A1 faite par Atlanco à l'organisme chypriote, et la copie du contrat de travail ; qu'il en résulte que si les travailleurs de la société Atlanco avaient été en situation irrégulière, la préfecture n'aurait pas délivré de badge d'accès ; qu'en se bornant à affirmer que la société Welbond Armatures était parfaitement informée des difficultés découlant de la présence des travailleurs polonais sans même répondre à ces éléments déterminants des conclusions de la prévenue de nature à mettre en évidence qu'aucun élément objectif n'avait été de nature à alerter cette dernière sur une quelconque irrégularité concernant la société Atlanco, jusqu'aux contrôles des 10 et 11 mai 2011, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes visés au moyen ;
11°/ que les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; que toute insuffisance ou contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de la société Welbond Armatures du chef de recours au travail dissimulé, la cour d'appel a affirmé que la personne physique ayant agi pour le compte de la société est, « en l'espèce, à défaut d'une quelconque délégation, M. Y..., dirigeant de droit de la société » ; qu'il résulte pourtant des pièces de la procédure que M. Y... avait, le 1er juin 2007 consenti une délégation de pouvoirs à M. C... ; qu'en justifiant la mise en cause de la responsabilité pénale de la société personne morale sur le fondement de motifs erronés contredits par les pièces du dossier, la cour d'appel a méconnu l'article 121-2 du code pénal ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »
55. Le troisième moyen de cassation proposé pour la société Welbond est pris en violation de l'article 56 du TFUE, des articles L. 8241-1, L. 1251-1, L. 1262-2 du code du travail, 121-2 et 121-3 du code pénal, et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
56. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la déclaration de culpabilité de la société Welbond Armatures du chef prêt illicite de main-d'oeuvre pour les faits en lien avec la société Atlanco Limited, et l'a condamnée au paiement d'une amende de 15 000 euros et prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur le deuxième moyen de cassation entraînera nécessairement la cassation de l'arrêt attaqué en ses dispositions relatives à la condamnation de la société Welbond Armatures du chef de prêt illicite de main-d'oeuvre pour les faits en lien avec la société Atlanco Limited, l'absence de toute irrégularité dans la mise à disposition des salariés d'Atlanco ne permettant pas d'établir une quelconque illégalité de l'activité de travail temporaire de la société Atlanco, laquelle relevait de la libre prestation de services garantie par l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
2°/ que le recours habituel à un prêt de main d'oeuvre n'est illicite que si l'opération a été source de profit pour l'entreprise utilisatrice ; que dans ses conclusions d'appel régulièrement déposées, la société Welbond Armatures avait clairement fait valoir qu'elle n'avait retiré aucun profit financier ni réalisé aucune économie en recourant aux salariés intérimaires polonais mis à sa disposition par la société Atlanco, dans la mesure où le taux de facturation de cette dernière était supérieur aux entreprises de travail temporaire françaises, et suffisamment élevé pour garantir le paiement des salaires conformes à la profession et des cotisations de sécurité sociale ; qu'il n'était par ailleurs pas contesté que les salaires payés aux travailleurs d'Atlanco étaient conformes aux taux horaires pratiqués par l'entreprise Welbond pour son personnel ; qu'en condamnant néanmoins la société Welbond Armatures du chef de prêt illicite de main-d'oeuvre, sans même rechercher à caractériser, comme elle y était pourtant expressément invitée, le but lucratif de l'opération de prêt de main-d'oeuvre conclue avec la société Atlanco, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;
3°/ que le délit de prêt de main-d'oeuvre illicite est une infraction intentionnelle qui suppose que soit établie la connaissance du caractère illicite de l'opération de prêt de main d'oeuvre réalisée, et la volonté d'agir malgré tout ; que les premiers juges s'étaient bornés à reprocher à la société Welbond Armatures un simple défaut de contrôle de sa part quant à la transmission des contrats de mission par la société Atlanco, qualifiée « d'abstention fautive » ; qu'en déduisant ainsi l'intention d'une simple faute de négligence, la cour d'appel a transformé le délit de prêt illicite de main d'oeuvre en un délit d'imprudence en violation des exigences de l'article 121-3 du code pénal ;
4°) qu'en l'état des motifs erronés dénoncés à la onzième branche du deuxième moyen s'agissant de la désignation de la personne physique à l'origine du délit de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé à la société Welbond Armatures, la condamnation pénale de la société Welbond identifiant à nouveau M. Y... comme étant à l'origine du délit de prêt illicite de main-d'oeuvre par renvoi aux motifs statuant sur le délit de recours au travail dissimulé encourt une censure identique. »
Réponse de la Cour
57. Les moyens sont réunis.
58. Pour déclarer la société Elco coupable de travail dissimulé, après avoir constaté que, tout d'abord, la très grande majorité des salariés a été embauchée par la société dans le seul but de venir en France, sur le chantier de l'EPR, quelques jours avant leur départ, la plupart d'entre eux n'ayant pas travaillé ou ne travaillant que récemment pour la société Elco, ensuite que l'activité de celle-ci dans son pays d'origine est devenue accessoire par rapport à l'activité en France, spécialement sur le chantier de l'EPR, le chiffre d'affaires réalisé en France s'établissant à 67% en 2009, 70% en 2010 et 60% en 2011, pendant que celui réalisé en Roumanie était de 17% en 2009 et de 2% en 2011, enfin, que la gestion administrative des salariés dits détachés n'était pas assurée par la société roumaine, certains détachements ayant duré plus de vingt-quatre mois, l'arrêt énonce que la société Elco a eu, en France, une activité habituelle, stable et continue, pour laquelle elle avait recruté, dans cette seule perspective, différents salariés, ce qui ne l'autorisait pas à se prévaloir de la législation sur les détachements.
59. Les juges relèvent que l'absence des déclarations préalables à l'embauche n'est pas contestée et ils ajoutent que l'objectif poursuivi par la société Elco a été, avant tout, la recherche d'un profit en jouant sur le coût du travail en Europe, cette fraude sociale ayant touché, d'une part les salariés concernés, d'autre part les sociétés françaises qui ont subi une concurrence déloyale.
60. Pour déclarer les sociétés Bouygues et Welbond coupables des chefs de recours aux services de travailleurs dissimulés, mis à disposition par la société Atlanco, et prêt illicite de main d'oeuvre, après avoir retenu qu'une société, dont le siège est en Irlande, a, par l'intermédiaire de sa filiale chypriote Atlanco et d'un bureau de cette filiale en Pologne, mais n'ayant aucune activité dans l'un de ces trois pays, recruté des travailleurs polonais, en leur faisant signer un contrat rédigé en grec, en vue de leur mise à disposition de sociétés françaises, grâce à l'intermédiation de deux salariés, basés à Dublin et travaillant en France, de cette filiale chypriote, qui n'était pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés, l'arrêt attaqué énonce que les sociétés Bouygues et Welbond ont demandé à la société Atlanco les pièces et documents relatifs aux travailleurs intérimaires sur le site, notamment le certificat E101 ou A1, sans en obtenir une communication complète et en poursuivant l'emploi de travailleurs polonais pour lesquels ces certificats n'avaient pas été transmis.
61. Les juges relèvent que, pour disposer d'une main d'oeuvre indispensable au bon déroulement du chantier, qui avait pris un retard considérable, les sociétés Bouygues et Welbond, agissant, la première, par l'entremise du directeur du projet relatif aux lots pour lesquels cette mise à disposition a été réalisée, la seconde, par celle de son dirigeant de droit, qui n'a consenti aucune délégation de pouvoir, ont eu recours à des travailleurs intérimaires polonais en connaissant les conditions de leur recrutement et de leur présence sur le site.
62. Ils concluent que ces sociétés ont fait appel à une main d'oeuvre temporaire, tout en sachant que la société Atlanco ne respectait pas le cadre légal du travail temporaire.
63. En l'état de ces motifs, exempts de contradiction et procédant de son appréciation souveraine des faits ainsi que des circonstances de la cause, dont elle a exactement déduit que l'activité des sociétés Atlanco et Elco ne relevait pas du détachement défini à l'article L.1262-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au moment des faits, mais des dispositions relatives à leur établissement en France, la cour d'appel, répondant aux chefs péremptoires des conclusions, a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnels, les délits de recours aux services de travailleurs dissimulés et de prêt illicite de main d'oeuvre reprochés aux sociétés Bouygues et Welbond, ainsi que le délit de travail dissimulé reproché à la société Elco, sans inverser la charge de la preuve ni méconnaître les textes et principes invoqués aux moyens.
64. En effet, d'une part, le délit de travail dissimulé est constitué quand l'employeur a omis d'accomplir l'une ou l'autre des formalités prévues par l'article L. 8221-5 du code du travail à l'égard d'un seul de ses salariés, dès le premier jour de l'embauche.
65. D'autre part, l'argumentation selon laquelle les travailleurs concernés justifiaient être affiliés à un régime étranger de sécurité sociale par la productions de certificats E101, devenus A1 était sans incidence sur l'obligation incombant à la société Atlanco d'être immatriculée au registre du commerce et des sociétés et sur l'obligation incombant aux sociétés Atlanco et Elco de procéder à une déclaration préalable à l'embauche, étant entendu que celle-ci ne pouvait, dans ce contexte, entraîner l'affiliation des travailleurs concernés à l'une ou à l'autre branche du régime de sécurité sociale, ainsi que le précise l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 mai 2020 précité (§ 53).
66. Enfin, outre que le moyen proposé par la société Welbond, pris de la délégation qu'aurait consentie son dirigeant de droit, est nouveau, mélangé de fait et de droit, et comme tel irrecevable, la cour d'appel a justifié sa décision quant à la qualité de représentants des deux sociétés Welbond et Bouygues de MM. Y... et B... après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, qu'ils étaient tous deux signataires des contrats engageant leurs sociétés respectives avec la société Atlanco, ce dont il s'évince qu'ils disposaient du pouvoir de procéder à l'embauche des salariés concernés.
67. En conséquence, les moyens doivent être écartés.
Sur le troisième moyen proposé pour la société Elco
Sur le cinquième moyen proposé pour la société Welbond
Enoncé des moyens
68. Le troisième moyen proposé pour la société Elco est pris de la violation des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, 485, 513 et 593 du code de procédure pénale.
69. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société Elco Construct à une amende de 60 000 euros, alors « qu'en matière correctionnelle le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; que la cour d'appel a condamné la société Elco Construct à une peine d'amende de 60 000 euros, sans aucunement motiver le choix du quantum de l'amende, au regard des ressources et des charges du prévenu ; qu'elle a méconnu les dispositions précités. »
70. Le cinquième moyen proposé pour la société Welbond est pris de la violation des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.
71. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement sur la peine et condamné la société Welbond Armatures au paiement d'une amende de 15 000 euros, après avoir pourtant renvoyé en cause d'appel la société Welbond Armatures de l'intégralité des poursuites de chef de prêt illicite de main-d'oeuvre en lien avec les faits reprochés à la société Elco Construct dont elle avait été déclarée coupable par les premiers juges, alors « qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; que pour confirmer le jugement sur le montant de l'amende prononcée, nonobstant la relaxe intervenue en cause d'appel du chef de prêt illicite de main-d'oeuvre en lien avec les faits reprochés à la société Elco Construct, la cour d'appel se borne à affirmer, après avoir tenu compte de l'importance économique des sociétés en cause et d'une certaine passivité des autorités françaises, que les amendes modérées prononcées par les premiers juges sont tout à fait justifiées et peuvent être reprises dans leur approche ; qu'en prononçant ainsi, sans s'expliquer sur la situation personnelle de la prévenue, ni sur le montant de ses ressources comme de ses charges, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision. »
Réponse de la Cour
72. Les moyens sont réunis.
73. Pour condamner la société Elco à 60 000 euros d'amende et la société Welbond à 15 000 euros d'amende, l'arrêt énonce que, si l'objectif poursuivi par la société Elco était, avant tout, la recherche d'un profit en jouant sur le coût du travail en Europe, et celui des sociétés françaises de disposer rapidement d'une main d'oeuvre importante et qualifiée pour limiter le retard considérable pris par le chantier, les effets néfastes de cette fraude sociale ont touché, d'une part les salariés concernés, d'autre part les sociétés françaises qui ont subi une concurrence déloyale.
74. Les juges retiennent qu'en tenant compte de l'importance économique des sociétés en cause et d'une certaine passivité des autorités françaises, il apparaît que les amendes, modérées, prononcées par les premiers juges sont justifiées et peuvent être reprises dans leur approche sauf à les adapter de façon plus différenciée, pour tenir compte du rôle éminemment moteur de la société Bouygues dans le déroulement de l'opération.
75. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a statué au vu des renseignements dont elle disposait et en l'absence d'éléments produits par les prévenues de nature comptable et fiscale susceptibles de la renseigner sur leurs résultats et leurs patrimoines, a justifié sa décision.
76. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
77. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze janvier deux mille vingt et un.
12 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 20-83.643, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 20-83.643, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 20-83.643 F-P+B+I
N° 100
EB212 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 12 JANVIER 2021
M. Q... A... B... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 11 juin 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de viols aggravés, agressions sexuelles aggravées et violences aggravées, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 17 août 2020, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. Q... A... B... , et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 décembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. À la suite de plusieurs plaintes et témoignages recueillis dans le cadre d'une enquête préliminaire le désignant comme l'auteur de viols et d'agressions sexuelles sur des membres de l'Eglise évangélique baptiste de toutes les nations de Paris dont il était le pasteur, M. B... a été mis en examen des chefs précités le 19 avril 2020.
3. Le 10 octobre 2019, son avocat a déposé une requête en nullité.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
5.Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande en nullité de tous les actes accomplis par le truchement d'un interprète ainsi que tous les actes subséquents, alors :
« 1°/ que l'article 157 du code de procédure pénale, d'ordre public, et l'article D594-16 du même code, qui définissent les conditions dans lesquelles sont désignés les experts traducteurs et interprètes au cours de la procédure, sont construits sur une logique de subsidiarité, aux termes de laquelle ce n'est qu'en cas de nécessité que les experts désignés peuvent ne figurer sur aucune des listes mentionnées à ces articles ; qu'il revient à l'autorité judiciaire de justifier sa décision le cas échéant, ce qu'elle n'a pas fait en l'espèce ; que les termes de « juridictions » ou d'« autorité judiciaire » désignent dans ces textes aussi bien les magistrats du siège que les magistrats du parquet ; que la chambre de l'instruction, en considérant que ces textes ne s'appliquaient pas au stade de l'enquête préliminaire, a méconnu le sens des articles susvisés ;
2°/ que l'alinéa 5 de l'article D.594-16 du code de procédure pénale, reprenant les dispositions d'ordre public des articles 157 et 160 du même code, dispose que les interprètes ou les traducteurs ne figurant sur aucune des listes mentionnées au 1° ou au 2° doivent prêter serment à chaque fois qu'ils sont commis ; qu'en l'espèce les interprètes et traducteurs intervenus au cours de la procédure n'ont pas systématiquement prêté serment avant d'accomplir les tâches qui leur étaient confiées et que le mémoire déposé pour M. B... en dressait la liste ; que la chambre de l'instruction n'apporte aucun motif relativement à un nombre important d'actes en cause établis au stade de l'information judiciaire, comme par exemple l'examen médical de Mme J... (D82), les déclarations de Mme V... F... (D80), les déclarations de Mme S... K... (D81), les déclarations de Mme R... (D83), l'expertise psychologique de Mme P... W... (D84), ou l'expertise psychologique de Mme S... E... (D91) ; qu'en s'abstenant totalement de s'expliquer sur la régularité de ces actes exécutés pendant l'information et expressément dénoncés par le mis en examen, la chambre de l'instruction a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
5. Pour rejeter la requête en nullité portant sur certains des actes diligentés par les enquêteurs, tirée de la violation de l'article D.594-16 du code de procédure pénale en ce que d'une part, le choix de recourir à un interprète non inscrit sur les listes n'a pas été motivé, d'autre part les interprètes requis n'auraient pas prêté le serment exigé par ce texte, l'arrêt attaqué retient que ces dispositions ne sont applicables qu'aux réquisitions de l'autorité judiciaire et qu'elles ne concernent pas l'enquête préliminaire.
6. C'est à tort que l'arrêt exclut l'application dudit article D.594-16 dans le cas où un interprète-traducteur est requis par les enquêteurs dans le cadre de leurs investigations, alors que ces dispositions ont été édictées en application des articles préliminaires, 10-2, 7° et 10-3 du code de procédure pénale selon lesquels les personnes soupçonnées ou poursuivies ainsi que les victimes et parties civiles qui ne maîtrisent pas la langue française bénéficient d'une manière générale du droit à l'assistance d'un interprète-traducteur.
7. Pour autant, l'arrêt n'encourt pas la censure.
8. En premier lieu, il ne résulte ni des dispositions précitées, ni des autres dispositions du code de procédure pénale relatives à l'intervention d'un interprète-traducteur que le choix de ce dernier en dehors des listes mentionnées à l'article D.594-16 doive être spécialement motivé.
9. Par ailleurs, Mme Q... Y..., intervenue comme interprète dans le cadre des actes de la cote D.91 de la procédure, inscrite comme interprète-traductrice sur la liste de la cour d'appel de Paris, est assermentée.
10. En outre, la chambre criminelle est en mesure de s'assurer, par l'examen des pièces de la procédure dont elle a le contrôle, que Mme C... M..., interprète non inscrite sur les listes mentionnées à l'article D.594-16 du code de procédure pénale, a été requise par les enquêteurs dans le cadre de l'enquête préliminaire le 8 avril 2019 de « procéder à l'interprétariat en langue coréenne dans la présente procédure », date à laquelle elle a prêté le serment prévu par les dispositions susvisées.
11. Il en résulte que cette interprète pouvait à nouveau être requise par les enquêteurs sur commission rogatoire, après l'ouverture de l'information dans cette même procédure, sans avoir à réitérer le serment initialement prêté.
12. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande en nullité de l'expertise psychologique de Mme S... et des actes subséquents alors « que selon l'article 161-1 du code de procédure pénale, le juge d'instruction adresse sans délai copie de la décision ordonnant une expertise au procureur de la République et aux avocats des parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour lui demander de modifier ou compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix ; qu'en application de l'alinéa 3 du même texte, il peut être dérogé à cette obligation lorsque les opérations d'expertise doivent intervenir en urgence ou que la communication prévue au premier alinéa risque d'entraver l'accomplissement des investigations ; que d'une part, au regard de l'article 593 du même code, les juridictions d'instruction sont chargées de motiver toute dérogation aux alinéas 1 et 2 de l'article 161-1 ; que d'autre part, l'alinéa 3 de l'article 161-1 pose deux conditions cumulatives quand l'urgence est invoquée pour justifier une dérogation aux alinéas 1 et 2, à savoir la mise en place immédiate des opérations d'expertises, et le dépôt des conclusions avant 10 jours ; que la chambre de l'instruction n'explique pas en quoi le fait que la personne concernée par la mesure réside aux Etats-Unis impliquait une urgence ; que l'expertise n'a pas été diligentée immédiatement après l'ordonnance du 10 juillet 2019, mais 5 jours plus tard, à savoir le 15 juillet 2019, et que le rapport de l'expert a été rendu postérieurement au délai de 10 jours imposé par le texte, le 29 juillet 2020 ; que la chambre d'instruction, qui n'a pas caractérisé l'urgence des opérations en cause, n'a pas justifié sa décision, en violation des articles 161-1 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
14. Pour écarter la requête en nullité tirée de l'absence de notification à la personne mise en examen de l'ordonnance commettant un expert aux fins de procéder à l'examen psychologique de Mme S..., l'arrêt énonce que cette dernière réside habituellement aux Etats Unis et qu'elle se trouvait temporairement en France, peu important qu'il ne soit pas démontré qu'elle ne pouvait rester en France dix jours de plus.
15. Les juges ajoutent que les conclusions du rapport d'expertise ont été communiquées aux parties qui pouvaient formuler une demande de complément d'expertise ou de contre expertise, ce dont elles paraissent s'être abstenues.
16. Ils en déduisent qu'il n'a pas été porté atteinte aux droits de la défense et qu'aucune nullité n'est dès lors encourue.
17. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application du texte visé au moyen.
18. En effet, il importe peu que le rapport d'expertise ait été déposé après le délai de dix jours prévu à l'article 161-1, alinéa 1, du code de procédure pénale, dès lors que les motifs précités et les pièces de la procédure suffisent à établir que les opérations d'expertise devaient intervenir en urgence et ne pouvaient être différées pendant ledit délai.
19. Ainsi, le moyen doit être écarté.
20. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze janvier deux mille vingt et un.
13 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 20-84.045, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 20-84.045, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 20-84.045 F-P+B+I
N° 90
SM1212 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 12 JANVIER 2021
Mme M... U... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 23 juin 2020, qui, dans l'information suivie contre elle, des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, importation en contrebande de marchandises dangereuses pour la santé publique et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 7 septembre 2020, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme M... U..., et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 15 décembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une information judiciaire a été ouverte des chefs susvisés, à la suite de livraisons surveillées par les douaniers de colis postaux contenant de la cocaïne, envoyés depuis le Lamentin (Martinique) à destination de l'Ile-de-France.
3. Dans ce cadre, Mme U... a été placée en garde à vue et a sollicité l'assistance d'un avocat.
4. Au cours de cette mesure, un officier de police judiciaire lui a demandé, hors la présence de son avocat, le code d'accès à son téléphone et, après l'avoir obtenu, a procédé à son exploitation.
5. Mme U... a été mise en examen des chefs susvisés. Son avocat a présenté une requête en nullité du procès-verbal d'exploitation de son téléphone et de l'audition consécutive, pour violation des dispositions des articles 63-3-1 et 63-4-2 du code de procédure pénale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annuler le procès verbal d'exploitation du téléphone de Mme U... et de retranscription des résultats de cette exploitation, ainsi que l'ensemble des actes dont ce procès verbal était le support nécessaire, alors « que dès le début de la garde à vue, la personne gardée à vue peut demander à être assistée par un avocat et demander que l'avocat assiste à ses auditions et confrontations ; qu'en déclarant la procédure de garde à vue régulière, aux motifs que le procès-verbal d'exploitation du téléphone de Mme U... n'avait pas le caractère d'une audition dès lors que « M... U... n'a fait aucune déclaration et qu'aucune question sur les faits pour lesquels elle a été placée en garde à vue ne lui a été posée », cependant que la chambre de l'instruction relevait par ailleurs que les enquêteurs avaient extrait l'exposante de sa cellule avant de l'interpeller sur la nécessité de donner le code de déverrouillage de son téléphone pour permettre l'exploitation des données y figurant, et que sur cette interpellation Mme U... a effectivement donné ledit code, sans l'assistance d'un avocat, ce dont il se déduisait que l'acte accompli par les enquêteurs relevait du régime de l'audition et nécessitait la présence de l'avocat, seul à même de garantir que la gardée à vue avait librement consenti à fournir ses codes d'accès, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi les articles 63-4-2 et 63-3-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel Mme U... a été entendue hors la présence de son avocat, l'arrêt attaqué énonce que le procès verbal d'exploitation du téléphone de l'intéressée n'a pas le caractère d'une audition dès lors que celle-ci n'a fait aucune déclaration et qu'aucune question sur les faits pour lesquels elle est placée en garde à vue ne lui a été posée.
8. Les juges ajoutent, par ailleurs, qu'il n'est pas rapporté la preuve d'une atteinte au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, dès lors que ce droit ne s'étend pas à l'usage de données que l'on peut obtenir de la personne en recourant à des pouvoirs coercitifs, mais qui existent indépendamment de la volonté du suspect.
9. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
10. En premier lieu, aucune disposition légale ne prévoit la présence de l'avocat lors de l'exploitation d'un téléphone portable, assimilable à une perquisition.
11. En second lieu, la communication à un officier de police judiciaire, sur sa sollicitation, d'une information permettant l'accès à un espace privé préalablement identifié, qu'il soit ou non dématérialisé, pour les besoins d'une perquisition, ne constitue pas une audition au sens de l'article 63-4-2 du code de procédure pénale.
12. Dès lors, le moyen doit être écarté.
13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze janvier deux mille vingt et un.
14 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 20-80.647, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 20-80.647, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 20-80.647 FS-P+B+I
N° 00056
CK12 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 12 JANVIER 2021
Mme B... Y... G... V... et M. M... J... ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 12 décembre 2019, qui, pour travail dissimulé, les a condamnés chacun à 3 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ont été produits.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de Mme B... Y... G... V... et de M. M... J..., les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Alsace, et les conclusions de M. Aubert, avocat général réferendaire, après débats en l'audience publique du 1er décembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mmes Ménotti, Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Violeau, conseillers référendaires, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite d'un contrôle en avril 2014 de deux chauffeurs de la société Bascobret SL de droit espagnol et ayant pour activité le transport routier de marchandises entre Irun, où elle a son siège social, et la Bretagne opéré par ses services, la direction régionale de l'emploi d'Aquitaine a, dans le cadre des échanges dans la lutte contre la fraude, informé l'URSSAF d'Aquitaine des éléments recueillis au cours de ce contrôle.
3. Dans le cadre de ses investigations, l'URSSAF a convoqué les intéressés et a procédé à leur audition le 9 septembre 2014 puis, le 7 avril 2016. Dans son procès-verbal de la seconde audition, l'URSSAF a relevé que l'implantation de la société en Espagne avait pour but unique de permettre « une optimisation sociale », l'entreprise n'ayant aucun intérêt économique en Espagne, les dirigeants de l'entreprise résidant en France, les clients de l'entreprise étant français, et les chauffeurs également français résidant en France.
4. Le 7 novembre 2016, l'URSSAF d'Aquitaine, constatant que la situation n'était toujours pas régularisée, a indiqué aux intéressés qu'ils étaient tenus au paiement de cotisations sociales en France et, le lendemain, a adressé au procureur de la République un procès-verbal d'infraction des chefs de travail dissimulé par dissimulation d'activité et travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié.
5. A l'issue de l'enquête pénale, M. J... et Mme G... V... ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel.
6. Par jugement du 3 avril 2018, le tribunal correctionnel a déclaré les prévenus coupables d'exécution d'un travail dissimulé et les a condamnés chacun au paiement d'une amende de 3 000 euros avec sursis.
7. Les prévenus ainsi que le ministère public ont interjeté appel.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité tenant au non-respect de l'obligation d'information par l'URSSAF de la personne poursuivie alors :
« 1°/ qu'il résultait du dossier de procédure que, le 7 novembre 2016, l'URSSAF d'Aquitaine avait adressé à la société Bascobret en la personne de ses représentants légaux M. J... et Mme G... V... une lettre d'observations prises en application de l'article R. 243-59 et suivants du code de la sécurité sociale et dont il résultait que, contrairement à ce qu'a retenu la cour d'appel, l'URSSAF avait bien réalisé un contrôle résultant d'un signalement fait par la direction régionale de l'emploi d'Aquitaine consécutif au contrôle des chauffeurs et des entretiens réalisés les 9 septembre 2014 et 7 avril 2016 avec l'un des représentants légaux de la société Bascobret, et que le procès-verbal d'infraction pénale relevant le délit de travail dissimulé, en date du 9 septembre 2014 et mentionnant que le contrôle avait été réalisé par les inspecteurs de l'URSSAF, « habilités à rechercher et verbaliser le délit de travail dissimulé en application des dispositions de l'article L. 8271-7 du code du travail et disposant des pouvoirs d'investigations des articles L. 243-11 et R. 243-59 du code de la sécurité sociale et L. 8271-2 et suivants du code du travail » avait été adressé au procureur de la République le 8 novembre 2016, soit le lendemain, sans que les représentants légaux de la société Bascobret aient été informés que les faits qui leur étaient reprochés dans le courrier du 7 novembre 2016 étaient susceptibles de constituer une infraction pénale et de donner lieu à sanction ; qu'en retenant néanmoins que les convocations adressées le 25 juin 2014 et le 18 août 2014 ne constituaient pas des lettres d'ouverture des opérations d'un contrôle en vérification de la régularité des déclarations, qui l'aurait amenée à constater une situation de travail dissimulé et serait intervenu en application des dispositions de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, mais d'une simple convocation à audition effectuée par les services de l'URSSAF en application des dispositions de l'article L. 8271-6-1 du code du travail, pour en déduire que l'URSSAF n'était pas tenue, dans ce cadre légal, d'informer la personne visée au procès-verbal des faits susceptibles de constituer une infraction pénale ainsi que des sanctions encourues, obligation qui ne lui est faite que pour les contrôles opérés en application de l'article L. 8113-7 du code du travail, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés.
2°/ que, et en tout état de cause, les dispositions de l'article L. 8271-8 du code du travail sont contraires au droit au procès équitable et au respect des droits de la défense en ce qu'elles ne prévoient pas la transmission préalable du procès-verbal de constat d'infraction de travail dissimulé par les agents des organismes de sécurité sociale aux intéressés ; que par suite de la déclaration de non-conformité de ces dispositions qui sera prononcée, l'arrêt attaqué sera privé de fondement légal. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen pris en sa seconde branche
10. Par arrêt en date du 5 août 2020, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à saisir le Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité. Il en résulte que la seconde branche du moyen est devenue sans objet.
Sur le moyen pris en sa première branche
11. Pour rejeter l'exception de nullité prise de ce que l'URSSAF n'a pas respecté son obligation d'information des intéressés en application des dispositions de l'article L. 8113-7 du code du travail, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte des éléments du dossier que les convocations adressées le 25 juin 2014 puis le 18 août 2014 aux prévenus ne constituaient pas des lettres d'ouverture des opérations d'un contrôle qui serait intervenu en application des dispositions de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, mais des convocations à audition effectuées par les services de l'URSSAF en application des dispositions de l'article L. 8271-6-1 du code du travail.
12. Les juges ajoutent que l'action de l'URSSAF s'inscrit dans le cadre des dispositions des articles L. 8271-1, L. 8271-1-2, du code du travail, et des dispositions de l'article L. 8271-8 du même code qui prévoient que les procès-verbaux établis par les agents des organismes de sécurité sociale qui ont constaté l'existence d'une infraction constitutive de travail illégal sont transmis directement au procureur de la République, et non pas dans le cadre des dispositions de l'article L.8113-7 du code du travail, qui concerne les constatations et notamment les contrôles sur place, effectués par les inspecteurs du travail en matière de droit du travail.
13. Ils concluent que l'URSSAF n'avait pas, dans ce cadre légal, à informer les personnes visées au procès-verbal des faits susceptibles de constituer une infraction pénale ainsi que des sanctions encourues, cette obligation ne lui étant imposée que pour les contrôles opérés en application de l'article L. 8113-7 du code du travail.
14. En se déterminant par ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.
15. En effet, l'article L. 8271-8 du code du travail, qui constitue un texte spécial, figurant dans le livre II consacré à la lutte contre le travail illégal au titre VII relatif au contrôle de celui-ci et déroge à l'article L. 8113-7 du code du travail, texte général figurant dans le livre I sur l'inspection du travail au titre I relatif à ses compétences et moyens d'intervention, et est seul applicable en matière de constatation du travail dissimulé, n'impose pas l'information des personnes visées au procès-verbal d'infraction avant transmission de celui-ci au procureur de la République.
16. Le grief ne peut qu'être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
17. Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré M. J... et Mme G... V... coupables des faits de travail dissimulé qui leur étaient reprochés alors « que dans leurs conclusions d'appel, les exposants faisaient valoir que lorsqu'un salarié est titulaire d'un certificat E 106, la contestation de la véracité de ses énonciations par l'URSSAF impose à la juridiction saisie de vérifier au préalable que l'institution émettrice du certificat E 106 a été saisie d'une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci sur la base des éléments concrets recueillis dans le cadre de l'enquête permettant, le cas échéant, de constater que ce certificat avait été obtenu ou invoqué de manière frauduleuse et que l'institution émettrice s'était abstenue, dans un délai raisonnable, de les prendre en considération aux fins de réexamen du bien-fondé de la délivrance dudit certificat ; qu'en se bornant à écarter les certificats E 106 en ce qu'ils ne créeraient aucune présomption de régularité de l'affiliation, sans procéder à la recherche susvisée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision. »
Réponse de la Cour
18. Pour retenir la culpabilité des prévenus du chef de travail dissimulé, l'arrêt qui relève que la matérialité de l'infraction est caractérisée énonce, notamment, que le fait que les salariés de l'entreprise aient obtenu la délivrance du certificat E 106 est sans effet sur cette matérialité.
19. Les juges ajoutent que ce certificat, ainsi qu'il est indiqué dans les conclusions mêmes de la défense, a pour seule finalité de permettre à un salarié de bénéficier de prestations maladie et maternité sur le territoire de l'État membre de sa résidence, alors qu'il est affilié auprès des caisses de sécurité sociale et de protection sociale d'un autre État membre, sur le territoire duquel se trouve son employeur.
20. Ils précisent que ce certificat E 106 ne crée aucune présomption de régularité de l'affiliation de l'assuré social, à la différence du certificat E 101, qui atteste de l'affiliation du salarié au régime de sécurité sociale de l'État d'établissement de son employeur, et qui crée une présomption de régularité de cette affiliation, ainsi que l'a en effet jugé la chambre criminelle de la Cour de cassation en ses arrêts du 18 septembre 2018.
21. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision dès lors que la délivrance d'un certificat E 106 devenu S1, qui constitue une simple attestation de droits à prestation en matière d'assurance maladie délivré par un organisme de sécurité sociale d'un Etat membre de l'Union européenne, ne lie pas le juge répressif, saisi d'un défaut de déclaration aux organismes sociaux français.
22. Le moyen doit, en conséquence, être écarté.
23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour,
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme B... Y... G... V... et M. M... J... devront payer à l'URSSAF en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze janvier deux mille vingt et un.
15 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 18-86.757, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 18-86.757, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Cassation partielle sans renvoi
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 18-86.757 FS-P+B+I
N° 00026
SM1212 JANVIER 2021
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 12 JANVIER 2021
M. Q... J... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 4 octobre 2018, qui, pour travail dissimulé, l'a condamné à huit mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires en demande et en défense et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. Q... J..., les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Aquitaine, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, conseiller référendaire, M. Lemoine, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite d'un contrôle effectué les 28 et 29 septembre 2013, l'inspection du travail de la Gironde a établi un procès-verbal de constatations en date du 29 avril 2014 dont il ressort que l'entreprise Blanconorte, basée au Portugal, gérée par M. J..., de nationalité espagnole, et qui avait pour activité les travaux de construction dans le secteur du bâtiment, avait réalisé depuis plusieurs mois de nombreuses déclarations de détachement dans le cadre de prestations de services internationales et ainsi détaché plusieurs de ses salariés pour la réalisation de chantiers de BTP sur le territoire français, intervenant alors comme sous-traitante de plusieurs donneurs d'ordre basés également en France.
3. A l'issue de l'enquête, le ministère public a fait citer M. J... devant le tribunal correctionnel du chef précité. Par jugement du 26 juin 2017, le tribunal correctionnel a déclaré les faits établis, a condamné le prévenu à une peine et a accordé des sommes à l'Urssaf d'Aquitaine, partie civile. Le prévenu, le ministère public et la partie civile ont interjeté appel de cette décision.
Examen de la recevabilité du pourvoi
4. Il se déduit de l'article 576, alinéa 2, du code de procédure pénale que tout avocat inscrit à l'un des barreaux d'une cour d'appel a qualité pour former un pourvoi en cassation dans l'ensemble du ressort de cette cour.
5. En l'espèce, l'acte du greffe porte que le pourvoi a été déclaré par « Me E... I..., loco SCP R-K... représentée par S... R... ». Me Portron, ainsi que le requérant en a justifié, est inscrit au barreau de Bordeaux.
6. Ainsi, le pourvoi est recevable.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen est pris de la violation des articles L. 1261-3, 1262-1, 1262-3, L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, de l'article 12 paragraphe 1 du règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, de l'article 19 paragraphe 2 du règlement (CE) n°987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n°883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale.
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. Q... J... coupable de l'infraction de travail dissimulé, l'a condamné en répression à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis et de 10 000 euros d'amende et a statué sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que lorsqu'il est saisi de poursuites pénales du chef de travail dissimulé, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, et que la personne poursuivie produit des certificats A1 à l'égard des travailleurs concernés, le juge, à l'issue du débat contradictoire, ne peut écarter lesdits certificats sans avoir, au préalable, constaté que l'institution émettrice, saisie d'une demande de réexamen et de retrait de ces certificats à la lumière d'éléments recueillis dans le cadre d'une enquête judiciaire ayant permis d'établir qu'ils avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement, s'était abstenue de prendre en compte ces éléments aux fins de réexamen du bien-fondé de la délivrance desdits certificats ; qu'en retenant, pour déclarer le prévenu coupable de travail dissimulé, que son activité en France ne relevait pas du détachement et que les certificats délivrés à ses salariés par l'institution portugaise ne s'imposaient pas en présence d'une fraude au détachement, sans rechercher si l'institution portugaise émettrice desdits certificats avait été saisie d'une demande de réexamen et de retrait à la lumière d'éléments établissant une fraude et s'était abstenue de les prendre en compte, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
2°/ au surplus que le juge, ne peut, en tout état de cause, écarter des certificats A1 sans caractériser une fraude constituée, dans son élément objectif, par l'absence de respect des conditions prévues pour l'obtention et l'invocation de tels certificats et, dans son élément subjectif, par l'intention de la personne poursuivie de contourner ou d'éluder les conditions de délivrance desdits certificats pour obtenir l'avantage qui y est attaché ; qu'en retenant néanmoins, pour déclarer le prévenu coupable de travail dissimulé, que les certificats délivrés à ses salariés par l'institution portugaise ne s'imposaient pas en présence d'une fraude au détachement, sans caractériser l'existence d'une telle fraude, tant dans sa matérialité que dans son caractère intentionnel, la cour d'appel a méconnu derechef les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
9. La Cour de justice de l'Union européenne juge qu'en vertu des principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, les certificats E101, devenus A1, délivrés par l'institution compétente d'un Etat membre créent une présomption de régularité de l'affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État et s'imposent à l'institution compétente et aux juridictions de l'État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans les cas prévus par le droit communautaire autorisant leur délivrance (CJUE, arrêt du 27 avril 2017, A-G... Flussschiff GmbH, C-620/15).
10. Elle ajoute que, lorsque l'institution de l'État membre dans lequel les travailleurs ont été détachés a saisi l'institution émettrice de ces certificats d'une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci à la lumière d'éléments recueillis dans le cadre d'une enquête judiciaire ayant permis de constater qu'ils ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et que l'institution émettrice s'est abstenue de prendre en considération ces éléments aux fins du réexamen du bien-fondé de la délivrance desdits certificats, le juge national peut, dans le cadre d'une procédure diligentée contre des personnes soupçonnées d'avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de tels certificats, écarter ces derniers si, sur la base desdits éléments et dans le respect des garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à ces personnes, il constate l'existence d'une telle fraude (CJUE, arrêt du 6 février 2018, Ömer Altun, C-359/16).
11. Il en résulte, ainsi qu'elle l'a ultérieurement précisé, que le juge national doit d'abord rechercher si la procédure prévue à l'article 84 bis, paragraphe 3, du règlement n° 1408/71 a été, en amont de sa saisine, enclenchée par l'institution compétente de l'État membre d'accueil par le biais d'une demande de réexamen et de retrait de ces certificats présentée à l'institution émettrice de ceux-ci, et, si tel n'a pas été le cas, doit mettre en œuvre tous les moyens de droit à sa disposition afin d'assurer que l'institution compétente de l'État membre d'accueil enclenche cette procédure, et que ce n'est qu'après avoir constaté que l'institution émettrice s'est abstenue de procéder au réexamen de ces certificats et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur les éléments qui lui étaient présentés, qu'il peut se prononcer de manière définitive sur l'existence d'une telle fraude et écarter ces certificats (CJUE, arrêt du 2 avril 2020, Vueling Airlines SA, n° C-370/17 et C-37/18).
12. La Cour de cassation en a tiré les conséquences et a retenu que le juge, saisi de poursuites pénales du chef de travail dissimulé, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, ne peut écarter lesdits certificats que si, sur la base de l'examen des éléments concrets recueillis au cours de l'enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement et que l'institution émettrice saisie s'était abstenue de les prendre en compte, dans un délai raisonnable, il caractérise une fraude constituée, dans son élément objectif par l'absence de respect des conditions prévues à la disposition précitée et, dans son élément subjectif, par l'intention de la personne poursuivie de contourner ou d'éluder les conditions de délivrance dudit certificat pour obtenir l'avantage qui y est attaché (Crim., 18 septembre 2018, pourvoi n° 13-88.631, Bull. crim. 2018, n° 160).
13. Dans une procédure où les poursuites pour travail dissimulé n'avaient pas seulement été engagées pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, mais également pour défaut de déclaration préalable à l'embauche, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à l'incidence de ces certificats sur l'obligation de déclaration préalable à l'embauche et, partant, sur la portée desdits certificats sur l'application aux travailleurs concernés de la législation de l'État membre d'accueil en matière de droit du travail (Crim., 8 janvier 2019, pourvoi n° 17-82.553).
14. Dans la présente procédure, la chambre criminelle a sursis à statuer jusqu'à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne.
15. Répondant à cette question préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics, C-17/19) a énoncé que les formulaires de détachement, dits certificats E101 et A1, s'imposent aux juridictions de l'Etat sur le territoire duquel les travailleurs exercent leurs activités uniquement en matière de sécurité sociale.
16. Elle a précisé que « les certificats E101 et A1, délivrés par l'institution compétente d'un État membre, ne lient l'institution compétente et les juridictions de l'État membre d'accueil qu'en ce qu'ils attestent que le travailleur concerné est soumis, en matière de sécurité sociale, à la législation du premier État membre pour l'octroi des prestations directement liées à l'une des branches et à l'un des régimes énumérés à l'article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1408/71 ainsi qu'à l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004 » (§ 47) et conclu que « ces certificats ne produisent donc pas d'effet contraignant à l'égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la sécurité sociale, au sens de ces règlements, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d'emploi et de travail de ces derniers » (§ 48).
17. S'agissant de l'analyse du droit national et en particulier de la portée de la déclaration préalable à l'embauche, elle a précisé qu'il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer la portée de cette obligation déclarative.
18. Une recherche similaire doit être conduite s'agissant de l'obligation d'inscription au registre du commerce et des sociétés, dont le défaut, ainsi qu'il résulte des articles L. 8221-1 et L. 8221-3, 1° du code du travail dans sa version applicable à la date des faits, caractérise le délit de travail dissimulé par dissimulation d'activité.
19. Une telle obligation est imposée par l'article L. 123-1 du code de commerce notamment aux sociétés commerciales dont le siège est situé hors d'un département français et qui ont un établissement dans l'un de ces départements.
20. Elle s'impose donc à l'employeur établi hors de France dont l'activité est entièrement orientée vers le territoire national ou est réalisée dans des locaux ou avec des infrastructures situées sur le territoire national à partir desquels elle est exercée de façon habituelle, stable et continue et qui, en application de l'article L. 1262-3 du code du travail, dans sa version applicable à la date des faits, ne peut en conséquence se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés.
21. Ainsi qu'en dispose ce même texte, en pareil cas, l'employeur est assujetti aux dispositions du code du travail applicables aux entreprises établies sur le territoire national. Dès lors, la production de certificats E101 ou A1 ne peut s'opposer à une condamnation pour travail dissimulé en raison d'un manquement à cette obligation, étant entendu que celle-ci ne peut, dans ce contexte, entraîner l'affiliation des travailleurs concernés à l'une ou à l'autre branche du régime de sécurité sociale, ainsi que le précise l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 mai 2020 précité (§ 53).
22. Pour dire établi le délit de travail dissimulé par dissimulation d'activité, l'arrêt relève que l'essentiel de l'activité de cette entreprise, précisément 85 %, n'était pas réalisée au Portugal outre que cette activité portait notamment sur la recherche et la prospection d'une clientèle sur le territoire national.
23. Les juges ajoutent notamment que le local servant de siège social à cette entreprise, au Portugal, n'était qu'une simple pièce sans salarié ni ordinateur et ne servait que de lieu de recrutement.
24. Ils énoncent encore que l'activité de la société Blanconorte était réalisée sur le territoire national de façon habituelle, stable et continue et relevait manifestement du droit d'établissement au sens de l'article L 1263-3 du code du travail, en sorte que l'employeur ne pouvait se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés.
25. En réponse au moyen de défense avancé par le prévenu, qui se prévalait sur ce point de l'opposabilité des formulaires de détachement, dits certificats E101, devenus A1, délivrés par les autorités portugaises à ses salariés, dont il devait être déduit que le détachement devait être regardé comme régulier, la cour d'appel retient que ces formulaires ne s'imposent au juge français qu'autant qu'il n'existe pas de preuves par ailleurs d'une fraude au détachement.
26. Elle conclut que l'activité en France de la société précitée ne relevait pas des règles du détachement et que le prévenu devait créer en France un établissement, solliciter son immatriculation au répertoire des métiers ou des entreprises ou au registre du commerce et des sociétés, procéder aux déclarations devant être faites aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale, enfin, effectuer la déclaration nominative préalable à l'embauche de ses salariés.
27. En l'espèce, si le prévenu a été reconnu coupable au titre de l'omission d'obligations déclaratives ayant pour unique objet d'assurer l'affiliation des travailleurs concernés à l'une ou à l'autre branche du régime de sécurité sociale, il l'a été également au titre d'un défaut d'inscription au registre du commerce et des sociétés.
28. La production de certificats E101 ou A1 pour certains ou tous les salariés concernés n'était pas de nature à interdire à la juridiction de déclarer établis ces derniers faits, qui à eux seuls suffisent à fonder la condamnation prononcée du chef de travail dissimulé, délit défini de façon unitaire par l'article L. 8221-1, 1°, du code du travail.
29. En conséquence, le moyen sera écarté.
Mais sur le moyen relevé d'office, mis dans le débat, pris de la violation de l'article 2 du code de procédure pénale
Vu ledit article :
30. Il résulte de ce texte que l'action civile n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.
31. Pour confirmer le jugement ayant déclaré recevable la constitution de partie civile de l'URSSAF d'Aquitaine et ayant condamné le prévenu à lui verser des dommages-intérêts, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que celle-ci a subi un préjudice découlant directement des agissements délictueux du prévenu.
32. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
33. En effet, les organismes de protection sociale nationaux ne sauraient prétendre avoir subi un préjudice lorsque, comme en l'espèce, la validité du certificat ne peut être contestée, faute de retrait dudit certificat par l'organisme qui l'a émis, ou faute d'établissement de la preuve d'une fraude conformément à la doctrine de la Cour de justice de l'Union européenne, telle qu'elle a été notamment fixée par l'arrêt du 6 février 2018, Ömer Altun, n° C-359/16, et rappelée par la chambre criminelle par plusieurs arrêts du 18 notamment), et qu'en conséquence les salariés concernés ne peuvent qu'être regardés comme régulièrement affiliés au régime de sécurité sociale de l'Etat ayant émis le certificat. Cette solution est également imposée par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 avril 2020, Vueling Airlines SA, n° C-370/17 et C-37/18, §§ 97 et 98.
34. La cassation est par suite encourue sur les seuls intérêts civils.
35. N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 4 octobre 2018, mais en ses seules dispositions ayant prononcé sur les intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DÉCLARE irrecevable la constitution de partie civile de l'URSSAF d'Aquitaine ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze janvier deux mille vingt et un.
16 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 6 janvier 2021, 19-84.547, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 6 janvier 2021, 19-84.547, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 19-84.547 F-P+B+I
N° 00023
EB26 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 6 JANVIER 2021
M. Y... M... et Mme W... F... ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-14, en date du 18 juin 2019, qui, pour détention frauduleuse de documents administratifs, transfert de capitaux sans déclaration et exportation sans déclaration de marchandises prohibées les a condamnés à 5 mois d'emprisonnement avec sursis, ordonné une mesure de confiscation et prononcé des amendes douanières.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. Y... M... et de Mme W... F..., les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction générale des recherches et enquêtes douanières, et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composé en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 25 novembre 2015, les agents des douanes de la brigade de surveillance extérieure de l'aéroport de Roissy ont procédé au contrôle de M. M... et de son épouse, Mme F.... La visite à corps de celle-ci a révélé qu'elle était en possession notamment de plusieurs faux passeports dont certains supportaient sa photographie ou celle de son mari.
3. Le 11 septembre 2016, M. M... et Mme F... ont été soumis à un second contrôle douanier à l'aéroport de Genève alors qu'ils embarquaient pour la France. Dans leurs effets personnels ont été découverts notamment à nouveau de faux passeports.
4. Les juges du premier degré ont déclaré Mme F... coupable de détention de faux documents administratifs et ont relaxé M. M... de ce chef.
5. Le ministère public et l'administration des douanes ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen pris en sa seconde branche et sur le second moyen
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen, pris en sa première branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. M... et Mme F... coupables de transfert non déclaré de sommes, titres ou valeurs, de détention frauduleuse de plusieurs documents administratifs et de fausses déclarations ou manoeuvres ayant pour but ou pour effet d'obtenir, en tout ou partie, des remboursements, des exonérations, des droits réduits ou des avantages quelconques attachés à l'importation ou à l'exportation, alors :
« 1°/ qu'en se bornant, pour déclarer M. M... coupable de faux documents administratifs, que, les prévenus voyageant ensemble ou en famille, les sommes et objets servant à fabriquer les faux passeports trouvés dans leurs bagages communs devaient être considérés comme détenus en commun, lorsque l'enquête avait établi que M. M... ne détenait pas matériellement les faux documents, la cour d'appel, qui a affirmé un fait en contradiction avec les pièces de la procédure, pour présumer la participation personnelle du prévenu aux faits reprochés, a violé l'article 121-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
8. L'article 441-3 du code pénal réprime la détention frauduleuse d'un ou plusieurs faux documents administratifs.
9. La détention, qui se définit comme un pouvoir de fait exercé sur un bien, n'implique pas une appréhension matérielle des documents, qui peuvent être détenus par l'intermédiaire d'autrui.
10. En l'espèce, pour déclarer M. M... coupable de la détention frauduleuse des faux documents administratifs découverts sur Mme F... le 25 novembre 2015 et dans les bagages du couple et de leur fille le 11 septembre 2016, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé que les premiers juges ont relaxé le prévenu au motif que ces faits ne pouvaient être imputés qu'à Mme F..., qui détenait matériellement les documents, relève que les époux voyageaient à chaque fois ensemble, en famille et que les sommes et objets servant à fabriquer les faux passeports trouvés dans leurs bagages communs doivent être considérés comme détenus en commun.
11. Les juges ajoutent que les faux documents d'identité portant la photographie de M. M... étaient nécessairement destinés à être prioritairement utilisés par lui, et que le couple agissait de manière parfaitement coordonnée, caractérisant ainsi une coaction.
12. Ils en déduisent que les faits de détention de faux documents doivent leur être imputés à l'un comme à l'autre.
13. En l'état de ces seules énonciations, qui établissent que M. M... disposait, tout autant que Mme F..., des faux passeports litigieux, la cour d'appel a justifié sa décision.
14. Ainsi, le moyen doit être écarté.
15. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six janvier deux mille vingt et un.
17 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 6 janvier 2021, 20-80.128, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 6 janvier 2021, 20-80.128, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Cassation
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 20-80.128 F-P+B+I
N° 00022
EB26 JANVIER 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 6 JANVIER 2021
M. V... J... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 28 novembre 2019, qui a prononcé sur sa requête en restitution d'objet saisi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. V... J..., et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement en date du 18 janvier 2018, le tribunal correctionnel a condamné M. J... pour traite d'être humain à l'égard d'une personne à son arrivée sur le territoire de la République, exécution d'un travail dissimulé, emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié et aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers en France, sans statuer sur la restitution des objets placés sous main de justice.
3. Le 7 juin 2018, le condamné a déposé auprès du procureur de la République une demande de restitution d'un téléphone de type Iphone, d'un ordinateur portable de type Macbook Air, de trois montres de marque Rolex et d'une montre de marque Chaumet.
4. Le 16 juillet 2018, le ministère public a rendu, sur le fondement de l'article 41-4 du code de procédure pénale, une décision de non-restitution et de remise au service des Domaines.
5. Par déclaration au greffe en date du 17 août 2018, le conseil du requérant a déféré cette décision à la chambre de l'instruction.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le recours formé par M. J... à l'encontre de la décision de non-restitution et de remise au service des Domaines prise par le procureur de la République du tribunal de grande instance de Nanterre le 16 juillet 2018, alors :
« 1°/ que la restitution des objets placés sous main de justice, dont la propriété n'est pas sérieusement contestée, doit être ordonnée lorsqu'elle n'est pas de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens et qu'aucune disposition particulière ne prévoit la destruction desdits objets ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande de restitution de M. J..., à retenir qu'il n'aurait pas établi avec certitude que ces objets étaient sa propriété et non celle de son épouse, sans constater que les objets saisis auraient été revendiqués par un tiers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 41-4 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'à supposer que se pose une contestation sérieuse relative à la propriété des objets réclamés, il appartient alors à la juridiction saisie de la trancher lorsque la décision sur la restitution en dépend ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande de restitution de M. J..., à retenir qu'il n'aurait pas établi avec certitude que ces objets étaient sa propriété et non celle de son épouse, sans rechercher lequel des deux époux était propriétaire des objets saisis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 41-4 du code de procédure pénale ;
3°/ que le fait que le bien saisi soit le produit indirect de l'infraction peut faire obstacle à sa restitution ; qu'un bien ne peut toutefois constituer le produit, même indirect, d'une infraction s'il a été acquis à une période antérieure à celle retenue dans la prévention ; qu'en retenant, par motifs adoptés de la décision du procureur de la République, à supposer que cela se puisse concevoir, que la commission des faits aurait permis à M. J... de mener un train de vie supérieur à celui qui aurait été le sien s'il ne les avait pas commis, pour retenir que les biens revendiqués auraient été le produit indirect de l'infraction, sans établir que les ordinateur, téléphone et montres revendiqués auraient été acquis pendant la période retenue dans la prévention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 41-4 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 41-4 du code de procédure pénale :
7. Il résulte des deux premiers alinéas de ce texte qu'il appartient en principe au président de la chambre de l'instruction ou à la chambre de l'instruction à qui est déférée la décision de non-restitution rendue par le procureur de la République ou le procureur général sur la requête présentée par la personne entre les mains de laquelle le bien a été saisi, non pas de rechercher si le demandeur justifie d'un droit lui permettant de détenir légitimement celui-ci, mais seulement de rechercher si la propriété est contestée ou susceptible de l'être.
8. Néanmoins, lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie au terme de l'enquête ou lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, le président de la chambre de l'instruction ou la chambre de l'instruction est tenu de trancher la contestation relative à la propriété des objets réclamés si la décision sur la restitution en dépend.
9. Pour confirmer le refus de restitution du procureur de la République, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré que M. J... est le propriétaire de l'ordinateur de marque Macbook Air et de son chargeur saisis dans la chambre parentale, et placé sous scellé 6 B01 et dont son épouse connaissait le mot de passe, et ce d'autant qu'à la date de la perquisition, il se trouvait à l'étranger.
10. Les juges ajoutent qu'il en est de même de l'Iphone remis spontanément par Mme J..., dont elle connaissait le code pin, placé sous scellé 7 B01, alors que son mari, lors de son interpellation, a été trouvé en possession de deux téléphones de marque Apple, un Iphone 6 et un Iphone 7 qui lui ont été restitués à l'issue de sa garde à vue, de même que sa montre Rolex de type Deepsea, de sorte que ces appareils sont susceptibles d'appartenir à Mme J....
11. Ils énoncent enfin qu'il n'est pas démontré que les trois montres de marque Rolex et la montre de marque Chaumet appartiennent à M. J... et non à son épouse.
12. En prononçant ainsi, d'une part sans constater que la propriété des montres était susceptible d'être contestée, d'autre part en s'abstenant de se prononcer sur la propriété de l'ordinateur et du téléphone portable dont elle a retenu le caractère contestable, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.
13. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 28 novembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six janvier deux mille vingt et un.
18 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 6 janvier 2021, 18-84.570, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 6 janvier 2021, 18-84.570, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Cassation
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 18-84.570 FS-P+B+I
N° 00043
SM126 JANVIER 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 6 JANVIER 2021La procureure générale près la cour d'appel de Paris, l'administration fiscale et l'Etat français, parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-13, en date du 29 juin 2018, qui a relaxé M. W... F..., M. V... F..., Mme L... K..., M. C... N..., M. E... T..., M. O... D..., la Northern trust fiduciary services (Guernesey) limited, la Royal bank of Canada trust compagny (Bahamas) limited des chefs de fraude fiscale et complicité, blanchiment aggravé et complicité.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Pichon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l' Etat français, la Direction générale des finances publiques, parties civiles, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de Mme L... K..., les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Northern trust fiduciary services (Guernesey) limited, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. V... F..., les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. W... F... et M. O... D..., et les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la Royal bank of Canada trust compagny (Bahamas) limited, et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Pichon, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Planchon, Zerbib, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, conseillers référendaires, M. Valat, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La présente procédure s'inscrit dans le cadre des successions de X... et d'V... F..., membres d'une famille de marchands d'art parisiens, tous deux domiciliés fiscalement en France.
3. X... F... est décédé le [...], laissant pour lui succéder, sa veuve, P... I..., laquelle a renoncé, le 26 novembre 2001, à la succession, et ses fils, V... F... et M. W... F..., issus d'une précédente union. Ces deux derniers ont déposé, le 23 avril 2002, une déclaration de succession faisant état d'un actif net de quarante millions d'euros, pour un montant de droits de 17 753 829 euros, payés, le 12 août 2003, par dation en oeuvres d'art.
4. Par arrêt du 14 avril 2005, la cour d'appel de Paris, saisie par P... I..., a annulé, pour erreur de droit sur le régime matrimonial, sa renonciation à la succession et la déclaration de succession (cassation partielle, sur un autre point, 1re Civ., 20 juin 2006, pourvoi n° 05-14.281, Bull. 2006, I, n° 321).
5. V... F... étant décédé le [...] et laissant à sa succession sa veuve, Mme L... K..., et ses enfants, Mme R... F... et M. V... (V... junior) F..., nés d'une précédente union, les trois héritiers sont venus à ses droits dans la succession de X... F....
6. Le 31 décembre 2008, après mise en demeure de l'administration fiscale du 3 avril 2008, une nouvelle déclaration de succession faisant état d'un actif net de quarante quatre millions d'euros, a été déposée, les droits s'élevant à dix-sept millions cent mille euros.
7. L'administration fiscale a notifié aux héritiers, le 6 novembre 2014, un redressement retenant une base taxable comportant en particulier les actifs de plusieurs trusts, les P..., A... et [...] , pour un montant dû de quatre cent cinquante millions d'euros, majorations et intérêts de retard inclus. Une contestation a été formée devant le juge de l'impôt. Par jugement, non définitif, du 9 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande de M. W... F..., sauf en ce qui concerne, notamment, le dégrèvement d'imposition mise à sa charge au titre du P... trust.
8. A la suite du décès, le [...], d'V... F..., une déclaration de succession portant sur un actif net de sept millions d'euros a été déposée par ses héritiers, le 20 février 2009, les droits dus s'élevant à un million et demi d'euros.
9. L'administration fiscale a adressé, le 8 décembre 2014, une proposition de rectification réintégrant à la succession, à hauteur de plus de deux cents millions d'euros, au titre de la quote-part des biens issus de la succession de X... F..., des biens détenus par les trusts constitués par ce dernier, les P..., A..., U... et M... trusts, ainsi que, à hauteur de dix-neuf millions d'euros, des biens contenus dans des trusts constitués par V... F..., les Louve et Drawdale trusts. Le redressement fiscal, portant sur un actif net de trois cent un millions d'euros, pour cent millions d'euros dus, majorations et intérêts de retard inclus, a également fait l'objet d'une contestation devant le juge de l'impôt.
10. Faisant suite à une plainte avec constitution de partie civile déposée par P... I..., une information judiciaire a été ouverte, le 5 juillet 2010, pour abus de confiance, puis pour blanchiment, recel, faux et usage. Mme L... K... s'est également constituée partie civile pour des faits d'abus de confiance, détournements et obstructions commis par les trustees. Les deux veuves ont reproché aux trustees des A... trust, [...] et [...] de leur avoir caché leur qualité de bénéficiaire, de ne pas avoir déclaré ces biens lors de la succession et de ne pas avoir respecté les règles de distribution fixées par les contrats de trust, ce qui les aurait lésées.
11. Parallèlement, après avis conforme de la commission des infractions fiscales, l'administration fiscale a déposé deux plaintes, les 22 juillet 2011 et 20 décembre 2012, visant des minorations dans les déclarations des deux successions par dissimulation de nombreux actifs détenus au sein de trusts étrangers.
12. L'information judiciaire, ouverte le 29 août 2011, portant sur ces faits de fraude fiscale, a été jointe à la précédente, le 23 septembre 2011.
13. A l'issue de l'information judiciaire, les juges d'instruction ont renvoyé devant le tribunal correctionnel, pour y être jugés :- M. W... F..., des chefs de fraude fiscale par dissimulation de sommes sujettes à l'impôt sur les successions, à compter d'octobre 2001, et notamment en décembre 2008 lors de la deuxième déclaration de succession de X... F..., notamment les propriétés immobilières du Kenya, des Iles Vierges Britanniques, de la [...] , les parts de la [...] , diverses galeries d'art et les oeuvres d'art, le tout logé dans le M... trust, le A... H..., le [...] , le [...] et le [...] , de blanchiment, aggravé pour avoir été commis de manière habituelle et en bande organisée, avec le concours de notaires et avocats parisiens, trustees d'Etats off shore, et protecteurs et conseils suisses, de fraude fiscale commise dans le cadre de la succession de X... F... au moyen de trusts faussement discrétionnaires et de complicité de fraude fiscale commise lors de la déclaration de succession d'V... F... par dissimulation volontaire de "la quote-part des biens issus de la succession de X... F... et des tableaux et la contrepartie des parts de la galerie de New-York logés dans le Louve et le Drawdale Trust ;- M. V... (junior) F..., du chef de fraude fiscale commise lors des déclarations de succession de X... et d'V... F... ;- Mme L... K..., du chef de complicité de blanchiment aggravé de fraude fiscale commise dans le cadre de la succession de X... F... ;- M. C... N..., notaire, du chef de complicité de fraude fiscale commise par les héritiers de X... et d'V... F... ;- M. E... T..., notaire et conseil fiscal, de blanchiment aggravé de fraude fiscale commise dans le cadre de la succession de X... F... ;- M. O... D..., avocat, des chefs de complicité de fraude fiscale commise par les héritiers de X... et d'V... F... et de blanchiment aggravé ;- Le Northern trust fiduciary services (Guernesey) limited (NTFS), trustee, du chef de complicité de fraude fiscale commise par les héritiers de X... F... ;- La Royal bank of Canada trust company (Bahamas) limited (RBCTC), trustee, du chef de complicité de fraude fiscale commise par ces mêmes héritiers.
14. Par jugement du 12 janvier 2017, les juges du premier degré ont relaxé les prévenus, faute, selon eux, d'élément légal de la fraude fiscale à la date des faits, s'agissant de l'imposition au titre des droits de mutation par décès de biens logés dans des trusts ayant perduré au delà du décès de leur constituant. Ils ont débouté l'administration fiscale et l'Etat français, parties civiles, de leurs demandes.
15. Le ministère public et les parties civiles ont relevé appel du jugement.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, et le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposés pour l'administration fiscale et l'Etat français
16. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur les premiers moyens proposés par la procureure générale et pour l'administration fiscale et l'Etat français relatifs à la prescription
Enoncé des moyens
17. Le premier moyen proposé par la procureure générale est pris de la violation des articles 8 du code de procédure pénale dans sa version issue de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 et L. 230 du livre des procédures fiscales dans sa version applicable du 24 juillet 1984 au 8 décembre 2013.
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté que le délit de fraude fiscale commis dans la déclaration de succession de X... F... est prescrit, alors que l'action publique n'était pas prescrite, la seconde déclaration de la succession du 31 décembre 2008 constituant l'acte déclaratif de la succession, la première ayant été annulée faisant disparaître l'élément matériel de l'infraction, et la plainte de l'administration fiscale ayant donné lieu le 29 août 2011 à l'ouverture d'une information judiciaire avant l'expiration du délai spécial de prescription résultant des dispositions de l'article L 230 du livre des procédures fiscales.
19. Le premier moyen proposé pour l'administration fiscale et l'Etat français est pris de la violation des articles L 230 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013, des articles 800, 801, 802 et 1741 du code général des impôts, des articles 8 dans sa version applicable, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs.
20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté que le délit de fraude fiscale commis dans la déclaration de succession de X... F... est prescrit, alors :
« 1°/ que toute déclaration effectuée entre les mains de l'administration fiscale, pour lui permettre de liquider l'impôt ou d'en contrôler le montant, ou encore de le mettre en recouvrement, peut être le siège d'une fraude fiscale dès lors qu'elle est inexacte et fait obstacle à l'exercice de sa mission par l'administration ; que les consorts F... ayant déposé une déclaration de succession le 31 décembre 2008 pour permettre l'établissement des droits de succession et leur recouvrement à la suite du décès de M. X... F..., celle-ci pouvait être le siège d'une fraude fiscale dès lors qu'elle était inexacte ; qu'elle échappait à la prescription, dès lors que les poursuites avaient été engagées par le ministère public par exploit du 29 août 2011, soit dans le délai de trois ans décompté du 1er janvier 2009 ; qu'en déclarant l'action publique prescrite, les juges du fond ont violé l'article L. 230 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 et l'article 1741 du code général des impôts ;
2°/ que dès lors que la déclaration du 31 décembre 2008, déposée en exécution d'une obligation légale, était destinée à permettre à l'administration d'établir et de liquider l'impôt et de le mettre en recouvrement, il était indifférent qu'une première déclaration de succession ait été déposée le 23 avril 2002 ; qu'à cet égard également, les juges du fond ont violé l'article L. 230 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction antérieure à la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 et l'article 1741 du code général des impôts ;
3°/ que et en tout cas, et a fortiori, la déclaration du 31 décembre 2008 pouvait être le siège d'une fraude fiscale et constituer le point de départ du délai de trois ans dès lors que la précédente déclaration, en date du 23 avril 2002 avait fait l'objet d'une annulation et qu'une nouvelle déclaration devait être déposée ; que de ce point de vue également, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article L. 230 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 et l'article 1741 du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
21. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 1741 du code général des impôts et L. 230 du livre des procédures fiscales dans sa version applicable à la cause :
22. Aux termes du premier de ces textes, commet le délit de fraude fiscale celui qui s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manoeuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse.
23. Il en résulte qu'est incriminé tout procédé frauduleux tendant à la soustraction intentionnelle à l'établissement et au paiement de l'impôt.
24. Selon le second de ces textes, s'agissant de l'exercice des poursuites pénales, les plaintes de l'administration fiscale peuvent être déposées jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au cours de laquelle l'infraction a été commise, et la prescription de l'action publique est suspendue pendant une durée maximum de six mois entre la date de saisine de la commission des infractions fiscales et la date à laquelle cette dernière émet son avis.
25. La prescription spéciale de l'action publique commence à courir du jour où l'infraction a été commise, soit, en cas d'omission de déclaration, le jour où celle-ci aurait dû être faite, en cas de dissimulation de sommes sujettes à l'impôt, le jour où une déclaration inexacte est produite auprès des services fiscaux (Crim., 13 décembre 1982, pourvoi n° 80-95.151, Bull. crim. 1982, n°284).
26. Il s'en déduit que le dépôt d'une déclaration, fût-elle tardive au regard des dispositions fiscales la régissant, qui comporte des omissions, fait courir le délai de prescription spéciale prévue à l'article L. 230 du livre des procédures fiscales dès lors qu'elle tend à permettre la liquidation et le paiement de l'impôt.
27. En l'espèce, pour déclarer prescrite la fraude fiscale commise à l'occasion de la déclaration de succession de X... F... et relaxer MM. W... et V... F..., prévenus de ce délit, Mme L... K..., MM. C... N... et O... D..., les sociétés RBCTC et NTFS, prévenus de complicité, l'arrêt attaqué énonce que cette infraction est un délit instantané qui se réalise à la date d'expiration du délai légal fixé pour le dépôt de la déclaration. Il relève que la déclaration de succession a été déposée, le 23 avril 2002, dans les six mois du décès de X... F..., que le délai de prescription commençant à courir à compter du 31 décembre de l'année suivant celle de la consommation de l'infraction, le délai de prescription de trois ans expirait le 31 décembre 2005 et que la plainte de l'administration fiscale, déposée le 22 juillet 2011, a été suivie d'un réquisitoire introductif du procureur de la République de Paris en date du 29 août 2011.
28. Les juges ajoutent que l'annulation de la déclaration de succession par la cour d'appel de Paris le 14 avril 2005 n'a pas fait disparaître l'infraction de fraude fiscale, dont la prescription n'est pas contestée, et que la seconde déclaration de succession du 31 décembre 2008, déposée à la demande de l'administration fiscale, qualifiée de conservatoire, portant sur la même succession, les mêmes impositions et comportant les mêmes omissions considérées comme frauduleuses, ne peut constituer un nouveau délit de fraude fiscale, celui-ci ayant été définitivement consommé lors de la déclaration du 23 avril 2002.
29. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susmentionnés.
30. En effet, en premier lieu, il est constant qu'une déclaration de succession qui visait à l'établissement et au paiement des droits de mutation à la suite du décès de X... F... a été déposée par les héritiers, le 31 décembre 2008 et que la prescription a été régulièrement interrompue, le 29 août 2011, par le réquisitoire introductif du procureur de la République, avant l'expiration du délai prévu par le livre des procédures fiscales dans sa version applicable à la cause.
31. En deuxième lieu, il importe peu que cette déclaration ait été déposée après l'expiration du délai de six mois prévu par l'article 641 du code général des impôts dès lors qu'elle tendait à remplir l'objectif précité.
32. En troisième lieu, il est également indifférent qu'une précédente déclaration portant sur la même succession comportant des omissions déclaratives, pour laquelle la prescription de l'action publique est considérée comme acquise, ait été déposée dans ce délai de six mois.
33. La cassation est encourue de ce chef.
Et sur le deuxième moyen proposé par la procureure générale, le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième branches, proposés pour l'administration fiscale et l'Etat français relatifs à la relaxe des chefs de fraude fiscale et complicité
Enoncé des moyens
34. Le deuxième moyen proposé par la procureure générale est pris de la violation des articles 750 ter dans sa version antérieure au 29 juillet 2011, 800, 801, 802, 1741 du code général des impôts, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs.
35. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé les prévenus des infractions commises à l'occasion de la déclaration de succession d'V... (senior) F..., alors :
1°/ que la cour d'appel a violé les textes visés au moyen en se contentant d'énoncer qu'il n'y avait pas d'obligation suffisamment claire et certaine portant obligation de déclarer les biens placés dans un trust, et en refusant de prendre parti sur le point de savoir si le droit en vigueur imposait ou non d'inclure ces éléments dans la déclaration dans sa rédaction antérieure à la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011 ;
2°/ que la cour d'appel était tenue de se prononcer sur la question de savoir si les constituants des trusts s'étaient, au moment de leur décès, véritablement dessaisis des biens figurant à l'actif des trusts visés à la prévention, le critère d'imposition étant celui de la possession et non celui de la poursuite du trust au moment du décès ;
3°/ que la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations sur la composition du patrimoine du constituant au moment de son décès, fondement de l'obligation déclarative, quant à l'absence de dépossession des biens placés dans les [...] , A... H... et [...] ;
4°/ que la cour d'appel, en écartant l'absence de dépossession au motif d'une intervention effective des trustées en 2004 et 2005 soit postérieurement au décès de X... F..., s'est fondée sur des circonstances inopérantes.
36. Le deuxième moyen, pris en sa première branche, proposé pour l'administration fiscale et l'Etat français est pris de la violation des articles 750 ter, 800, 801, 802, 1741 du code général des impôts, article 122-3 du code pénal, article 4 du code civil, articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs.
37. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que s'agissant de la fraude fiscale commise à l'occasion de la déclaration de succession de M. V... F..., il a relaxé les prévenus des fins de la poursuite, alors :
« 1°/ que, pour statuer sur le délit de fraude fiscale, au sens de l'article 1741 du code général des impôts, les juges du fond ont l'obligation de dire, peu important que les textes et la jurisprudence manquent de clarté et soient sujets à interprétation, si l'état du droit commandait que tel élément, qui a été omis, devait être porté à la connaissance de l'administration ; qu'en refusant de procéder de la sorte, pour se contenter d'énoncer qu'il n'y avait pas d'obligation suffisamment claire et certaine portant obligation de déclarer les biens placés dans un trust, en refusant de prendre parti sur le point de savoir si le droit en vigueur imposait ou non d'inclure ces éléments dans la déclaration, les juges du fond ont violé les textes susvisés. »
38. Le troisième moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, proposé pour l'administration fiscale et l'Etat français est pris de la violation des articles 750 ter, 800, 801, 802, 1741 du code général des impôts, article 122-3 du code pénal, article 4 du code civil, articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs.
39. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que s'agissant de la fraude fiscale commise à l'occasion de la déclaration de succession de M. V... F..., il a relaxé les prévenus des fins de la poursuite, alors :
« 3°/ que, s'agissant du M... trust et du [...] , les juges du fond ont retenu que l'existence d'une correspondance attestait « que X... F..., qui n'était bénéficiaire ni du M... trust, ni du A... trust, se comportait comme tel ce qui pourrait permettre d'établir qu'il n'était pas réellement dépossédé des biens trustés » et encore que « il est permis d'avoir un doute au regard des éléments évoqués ci-dessus sur la réalité de la dépossession du constituant des biens trustés et sur le caractère irrévocable des trusts » ; que tenus de s'expliquer sur la réalité des faits dénoncés, au besoin en prescrivant une mesure d'instruction, les juges du fond, au vu des constatations qu'ils opéraient, devaient rechercher si, comme le laissait apparaître certains éléments, les biens étaient restés en la possession de M. X... F... ; que faute de s'être prononcés sur ce point, les juges du fond ont entaché leur décision d'une insuffisance de motifs ;
4°/ que, s'agissant du [...] , les juges du fond ont relevé que des éléments figurant au dossier « semblent établir que X... F... ne s'était pas réellement dépossédé de la collection d'oeuvres d'art mises en trust sur laquelle il gardait un pouvoir de contrôle de leur gestion » puis que les sommes dégagées étaient affectées « au maintien du train de vie du constituant et des bénéficiaires ainsi qu'à l'entretien des biens familiaux détenus par d'autres trusts », qu'en considérant in fine qu'il y avait doute sur la réalité de la dépossession quand l'absence de dépossession était préalablement constatée, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont violé les textes susvisés ;
5°/ que, s'agissant du [...] , après avoir énoncé que des éléments figurant au dossier « semblent établir que X... F... ne s'était pas réellement dépossédé de sa collection d'oeuvres d'art mises en trust sur laquelle il gardait un pouvoir de contrôle de leur gestion » puis que les sommes dégagées étaient affectées « au maintien du train de vie du constituant et des bénéficiaires ainsi qu'à l'entretien des biens familiaux détenus par d'autres trusts », les juges du fond retiennent « il est permis d'avoir un doute au regard des éléments évoqués ci-dessus sur la réalité de la possession par le constituant des biens trustés et sur le caractère irrévocable des trusts » ; qu'en s'abstenant de mieux s'expliquer sur le point de savoir comment ces deux séries de propositions pouvaient être comprises, les juges du fond ont à tout le moins entaché leur décision d'une insuffisance de motifs ;
6°/ que, s'agissant des M... trust, [...] et [...] , les juges du second degré font état de faits concernant les années 2004 et 2005 ; que ces circonstances étaient inopérantes s'agissant du point de savoir si les biens détenus dans le cadre de ces trusts devaient être déclarés à la suite du décès de M. X... F... survenu le [...] comme étant postérieures à la date de référence ; qu'en se fondant sur de tels faits, les juges du fond ont violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
40. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 593 du code de procédure pénale et 750 ter, 784, 800 et 1741 du code général des impôts :
41. Selon le premier de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
42. L'article 1741 du code général des impôts incrimine et punit celui qui s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts, notamment lorsqu'il a volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt.
43. Les dispositions pénales sont applicables aux héritiers, légataires ou donataires qui sciemment minorent une déclaration de mutation par décès par omission déclarative de certains biens ou droits. En effet, les héritiers, légataires ou donataires sont tenus, sauf dispense légale, de souscrire et signer une déclaration de succession détaillée en application de l'article 800 de ce code.
44. La déclaration de succession comporte tous les biens qui appartiennent, ou sont légalement réputés appartenir, au défunt et qui, par le fait de son décès, sont transmis à ses héritiers, légataires ou donataires, ainsi que, selon l'article 784 du même code, sauf dispense de rapport fiscal, l'existence de donations consenties à un titre et sous une forme quelconques par le donateur ou le défunt aux donataires, héritiers ou légataires et le montant de ces donations.
45. De son vivant, le défunt a pu avoir placé ses biens, en tout ou en partie, dans un trust de droit étranger.
46. En se basant sur la Convention de la Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance et sur l'article 792-0 bis du code général des impôts créé par la loi n°2011-900 du 29 juillet 2011, le trust peut être défini comme l'ensemble des relations juridiques créées dans le droit d'un Etat étranger par une personne, le constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, lorsque des biens ou des droits ont été placés, sous le contrôle d'un administrateur, le trustee, dans l'intérêt d'un ou de plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d'un objectif déterminé.
47. Ce mécanisme en vertu duquel le constituant se dessaisit de ses biens et qui conduit à dissocier la propriété « légale » du trustee de la propriété « équitable » du ou des bénéficiaires est inconnu en droit français.
48. Il n'en demeure pas moins que, selon la jurisprudence civile et fiscale de la Cour de cassation développée dès 1996, il convient de s'attacher aux effets concrets du trust concerné tel qu'établi et régi par la loi étrangère applicable afin de déterminer s'il a réalisé, au sens du droit français, au profit du ou des bénéficiaires, un transfert de propriété ayant pris effet au décès du constituant et susceptible d'être soumis aux droits de mutation à titre gratuit.
49. Il a également été jugé par la chambre commerciale de la Cour de cassation que, lorsqu'il est établi que le constituant d'un trust a le droit de jouir et de disposer des biens confiés ou, s'agissant d'un acte de trust irrévocable, ne s'est cependant pas dépossédé de ses biens de manière irrévocable, ces derniers doivent être inclus dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune constituée par la valeur des biens appartenant au contribuable.
50. Il en résulte notamment qu'en l'absence de dessaisissement du constituant d'un trust, les biens qui y sont logés sont considérés comme étant restés la propriété du constituant. Dans cette hypothèse, il importe peu que, selon l'acte de trust, celui-ci soit qualifié de discrétionnaire et irrévocable et qu'il n'ait pas pris fin au décès du constituant.
51. L'intervention du législateur le 29 juillet 2011, lequel a organisé un régime fiscal des biens placés dans un trust de droit étranger, inapplicable à l'espèce, n'implique pas l'absence de toute fiscalité antérieure applicable à l'égard de ces biens. En effet, il ressort des travaux préparatoires que ce texte a visé à confirmer, préciser et compléter le régime fiscal des trusts en matière de droits de mutation à titre gratuit et d'impôt de solidarité sur la fortune.
52. Ainsi, si le nouvel article 792-0 bis du code général des impôts instaure une imposition spécifique au titre des droits de mutation par décès s'agissant des biens placés dans un trust qui sont transmis aux bénéficiaires au décès du constituant sans être intégrés à sa succession, ou qui restent dans le trust après le décès du constituant, il confirme également que les transmissions à titre gratuit réalisées par l'intermédiaire d'un trust et qui peuvent être qualifiées de donation ou de succession sont soumises aux droits de mutation de droit commun.
53. Aux termes de l'article 750 ter dudit code, dans sa version antérieure à la loi du 29 juillet 2011, sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit, en particulier, les biens meubles et immeubles situés en France ou hors de France, et notamment les fonds publics, parts d'intérêts, créances et généralement toutes les valeurs mobilières françaises ou étrangères de quelque nature qu'elles soient, lorsque le donateur ou le défunt a son domicile fiscal en France.
54. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments, et sans méconnaissance de l'exigence de prévisibilité juridique, le principe suivant. Même avant l'entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2011, lorsque le constituant d'un trust de droit étranger, fût-il, aux termes de l'acte de trust, qualifié de discrétionnaire, irrévocable et ne prenant pas fin à son décès, ne s'est pas irrévocablement et effectivement dessaisi des biens placés, ses héritiers sont tenus de les déclarer lors de la succession. Par voie de conséquence, la méconnaissance de cette obligation déclarative est susceptible de caractériser le délit de fraude fiscale.
55. Dès lors, il appartient au juge d'analyser le fonctionnement concret du trust concerné afin de rechercher si le constituant a, dans les faits, continué à exercer à l'égard des biens logés dans le trust des prérogatives qui sont révélatrices de l'exercice du droit de propriété, de telle sorte qu'il ne peut être considéré comme s'en étant véritablement dessaisi.
56. En l'espèce, l'arrêt attaqué confirme le jugement ayant relaxé M. V... junior F... du chef de fraude fiscale par dissimulations à l'impôt sur la succession d'V... F... de la quote part des biens issus de la succession de X... F..., soit des biens logés dans les M..., A..., U..., P... et [...] , ainsi que des tableaux et des biens logés dans le Louve et Drawdale trusts, et MM. W... F..., C... N... et O... D... du chef de complicité.
57. Il précise que les trusts litigieux, qui ne figurent pas à l'actif de la déclaration de succession d'V... F..., présentent la caractéristique de ne pas prendre fin au décès de leur constituant, et que le GW trust constitué par Y... F..., les M..., A..., U... et P... trusts constitués par X... F... et les Louve et Drawdale constitués par V... F..., sont qualifiés d'irrévocables et discrétionnaires, à l'exception du U... trust constitué par X... F... qui était révocable de son vivant.
58. Il énonce en substance que, bien qu'inconnu du droit français, le trust n'en produit pas moins des effets en France et est reconnu par la jurisprudence lorsqu'il est valablement constitué au regard de la loi d'autonomie et ne porte pas atteinte à l'ordre public français, et qu'il convient de se prononcer sur le point de savoir si existait, à la date du décès d'V... F..., le [...], une obligation de déclarer à sa succession les biens placés dans des trusts.
59. La cour d'appel mentionne que les appelants allèguent que l'obligation déclarative résulterait de l'absence de dépossession par les constituants des biens placés en trust.
60. S'agissant des GW et Drawdale trusts, elle retient que X... F..., n'étant pas le constituant du [...] , « ne saurait être considéré comme ne s'étant pas réellement dépossédé des actifs », que des distributions de capital de ce trust reçues par V... F... ont été apportées à une société dont les parts ont été placées dans le Drawdale trust et que le conflit entre la bénéficiaire de ce trust, Mme K..., et le protecteur, « et quels qu'aient été la réalité du rôle du trustee et le rôle du protecteur dans la direction de la société [...] et dans la distribution des revenus qui n'auraient été ratifiés qu'a posteriori par le trustee » ne constitue pas un élément suffisant pour affirmer qu'V... F... ne s'était pas dépossédé des actifs mis dans le Drawdale trust.
61. Quant aux actifs logés dans les M... et [...] , elle relève qu' «au delà de la qualité de co-trustee de leur constituant X... F... et d'une succession de trustees, éléments qui semblent être sans incidence sur la réalité de la dépossession par le constituant des biens mis en trusts, et s'il est permis de s'interroger sur le fait que le trustee, ainsi mentionné dans l'acte de trust, n'exerce ses pouvoirs d'investissement qu'en conformité aux instructions données par le constituant et bénéficie d'une décharge de responsabilité corollaire de la liberté laissée aux équipes de direction des sociétés dont les parts étaient détenues directement ou indirectement par les trusts, comme sur le rôle prépondérant du protecteur, Q... S... jusqu'au décès de X... F..., et dont rien n'établit qu'il était membre des conseils d'administration des sociétés sous-jacentes, comme l'est ou l'a été, depuis 2007, le protecteur actuel, au demeurant sociétés sur lesquelles le dossier ne comporte que peu d'informations, interrogations pouvant conduire à interpréter ces éléments comme une limitation des pouvoirs discrétionnaires de gestion du trustee, la cour ne saurait affirmer que la mise en trust des parts de sociétés ne correspondait pas à la constitution d'un patrimoine indépendant ». Elle relève aussi que « cependant, s'agissant des distributions faites par le M... trust du vivant du constituant, étant observé qu'il s'agissait de distributions de revenus et non de distributions de capital, il apparaît que des distributions ont été faites depuis le M... trust, au profit du constituant, qui n'était pas un des bénéficiaires sauf pour un versement annuel d'un montant limité à 500 000 euros, montant largement dépassé si l'on en juge par l'existence non contestée d'une créance du M... trust sur la succession de X... F... de 55 000 425 dollars au 31 janvier 2001 au titre d'un prêt consenti par X... F... » dont il n'est pas « contesté que cette somme a bénéficié à hauteur de trente-six millions de dollars au A... trust » et « que peu important que cette créance corresponde à des distributions ou à des prêts, son existence même atteste que X... F..., qui n'était bénéficiaire ni du M... trust ni du [...] , se comportait comme tel, ce qui pourrait permettre d'établir qu'il ne s'était pas réellement dépossédé des biens trustés ».
62. S'agissant des oeuvres d'art logées dans le [...] , les juges relèvent que le constituant X... F... a fait usage de la faculté prévue à l'acte de trust, qui était révocable, de récupérer partie des biens mis en trust en reprenant dix-neuf tableaux de Bonnard qui ont été logés dans le P... trust, et qu'il « a décidé, en juillet 2001, du transfert en Suisse d'une partie des oeuvres qui se trouvaient sur le territoire américain, transfert dont on ignore s'il a été décidé en accord ou non avec le trustee de l'époque et pour quelles raisons, sauf à trouver une explication dans la découverte par le nouveau trustee RBCTC de la présence en 2001, sur le territoire américain, d'oeuvres d'art, [qui] va l'amener à déclarer, en octobre 2014, à l'administration fiscale américaine la présence d'oeuvres estimées à deux cent cinquante millions de dollars ». Ils retiennent que ces derniers « éléments non contestés, outre le caractère révocable du trust, peu important que le trust soit devenu irrévocable au décès de son constituant, semblent établir que X... F... ne s'était pas réellement dépossédé de la collection d'oeuvres d'art mises en trust sur laquelle il gardait un pouvoir de contrôle de leur gestion par des conventions signées entre le trustee, le protecteur et X... F..., et entre le trustee, le protecteur et la société [...] co, par lesquelles le trustee engageait X... F... et la galerie à l'assister dans la gestion des oeuvres d'art dont la vente, ainsi que mentionné à l'acte de trust et dans la lettre de souhait, devait générer les sommes nécessaires au maintien du train de vie du constituant et des bénéficiaires ainsi qu'à l'entretien des biens familiaux détenus par d'autres trusts » et que « cependant ces dispositions relatives aux distributions des revenus, au demeurant conformes à l'acte de trust et à la lettre de souhait, ne peuvent être l'élément déterminant d'une absence de dépossession ».
63. Quant au Louve trust composé d'oeuvres d'art provenant de la distribution du [...] , la cour d'appel énonce ne disposer « d'aucun élément objectif quant à son fonctionnement et sa gestion, sauf les déclarations de sa bénéficiaire Mme K... selon lesquelles le patrimoine du trust lui aurait été attribué courant 2012, lui permettant d'affirmer que ces biens ne constituaient pas un patrimoine indépendant de leur constituant ».
64. Sur la quote-part des biens logés dans les M..., A... et [...] issue de la succession de X... F..., elle retient que les éléments et justificatifs produits permettent de constater que, depuis 2004 pour le [...] et 2005 pour les M... et [...] , les trustees « semblent avoir exercé un rôle effectif ».
65. Puis la cour d'appel examine la question de l'existence d'une obligation légale de déclaration fiscale.
66. Elle retient que les textes en vigueur ne comportaient aucune disposition spécifique sur l'imposition de la propriété des biens trustés et que les modifications législatives issues de la loi du 29 juillet 2011, inapplicables en l'espèce, ne peuvent être considérées comme n'ayant fait que compléter le droit positif alors que le législateur a introduit des dispositions spécifiques pour les biens restant en trust au décès du constituant par la détermination d'un constituant dit fiscal, à savoir le bénéficiaire, présumé propriétaire, afin de permettre une taxation au titre des droits de mutation par décès. Elle rappelle que la problématique du trust survivant au décès du constituant ne peut être considérée comme secondaire dès lors que les M..., A... et [...] sont toujours en vigueur.
67. L'arrêt attaqué conclut de la façon suivante : « alors que les textes en vigueur, tant au décès de X... F... qu'à celui de V... F... ne comportaient aucune disposition spécifique sur l'imposition de la propriété des biens placés en trust, que la jurisprudence citée en matière de droits d'enregistrement ne concerne pas des trusts prenant fin au décès du constituant, que s'il est permis d'avoir un doute au regard des éléments évoqués ci-dessus, sur la réalité de la dépossession par le constituant des biens trustés et sur le caractère irrévocable des trusts, ces derniers semblent l'être aujourd'hui, et au rappel des arguments du rapporteur de la loi du 29 juillet 2011 à l'assemblée nationale quant à l'insécurité juridique résultant d'un régime juridique et fiscal des trusts peu clair, régime résultant tant des textes que de la jurisprudence, la cour ne peut affirmer qu'il existait, avant la loi du 29 juillet 2011 et donc au décès d'V... F... une obligation, suffisamment claire et certaine, portant obligation de déclarer les biens placés dans un trust, et qui plus est pour les biens logés dans un trust perdurant au décès de leur constituant, catégorie pour laquelle la loi a instauré une imposition spécifique ».
68. Il précise qu'en l'absence d'une telle obligation, dont l'omission constitue l'élément matériel du délit de fraude fiscale, il ne peut qu'être constaté que le délit de fraude fiscale n'est pas constitué.
69. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
70. En effet, en premier lieu, c'est à tort que les juges ont retenu l'absence, avant la loi du 29 juillet 2011, de toute obligation de déclarer, lors d'une succession, des biens placés dans un trust.
71. En second lieu, les énonciations de l'arrêt telles que reprises aux paragraphes 60 à 62, 64 et 67 relatives à l'effectivité du dessaisissement du constituant à l'égard des biens placés dans les trusts sont équivoques, voire contradictoires, de sorte qu'elles ne mettent pas la Cour de cassation en mesure de contrôler la motivation retenue par les juges à l'appui de la relaxe.
72. La cassation est donc encourue de ce chef.
Et sur le troisième moyen proposé par la procureure générale et le quatrième moyen proposé pour l'administration fiscale et l'Etat français relatifs à la relaxe des chefs de blanchiment aggravé et complicité
Enoncé des moyens
73. Le troisième moyen proposé par la procureure générale critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé les prévenus poursuivis du chef de blanchiment, alors que la cassation sur les moyens relatifs à la fraude fiscale doit conduire par voie de conséquence à la cassation de l'arrêt sur les dispositions critiquées, alors que l'arrêt attaqué encourt la censure par voie de conséquence.
74. Le quatrième moyen proposé pour l'administration fiscale et l'Etat français critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé les prévenus du chef de blanchiment des fins de la poursuite, alors « que, la cassation à intervenir, sur le premier et le deuxième moyens, ne pourra manquer d'entraîner, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur le blanchiment reproché à certains des prévenus dès lors que la relaxe est intervenue qu'à raison de la prescription du délit de fraude fiscale ou de l'absence de fraude fiscale. »
Réponse de la Cour
75. Les moyens sont réunis.
76. Eu égard aux réponses apportées aux précédents moyens, la cassation de l'arrêt attaqué en ce qu'il relaxe MM. W... F..., E... T... et O... D... et Mme L... K... des chefs respectivement de blanchiment aggravé de fraude fiscale et de complicité commis dans le cadre de la succession de X... F..., relaxe fondée sur l'absence d'obligation légale déclarative de biens placés en trust ne se dénouant pas au décès du constituant, est encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 29 juin 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six janvier deux mille vingt et un.
19 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 5 janvier 2021, 20-80.569, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 5 janvier 2021, 20-80.569, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 20-80.569 F- P+B+I
N° 00001
CK5 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 5 JANVIER 2021
M. W... U... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 27 novembre 2019, qui, pour infraction à la réglementation sur la chasse, l'a condamné à trente jours-amendes de 100 euros, a ordonné le retrait de son permis de chasser pendant deux ans, une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. W... U..., et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, M. Pers, Mmes Schneider, Ingall-Montagnier, M. Bellenger, Mme Goanvic, conseillers de la chambre, Mme Méano, M. Leblanc, Mme Guerrini, conseillers référendaires, M. Lagauche, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une opération de surveillance nocturne faisant suite au braconnage d'un cerf, des agents de l'office national de la chasse et de la faune sauvage ont repéré un véhicule qui roulait lentement et s'arrêtait tous phares éteints avant qu'une source lumineuse portative ne balaie les champs alentour.
3. Ils ont procédé à un contrôle qui leur a permis de constater que ce véhicule, conduit par M. W... U..., accompagné d'un passager, contenait une lampe torche, un couteau de chasse, une paire de jumelles à vision nocturne, une carabine, placée dans une housse non fermée, équipée d'une lunette de visée et chargée de trois cartouches dont l'une était engagée dans la chambre, ainsi que des munitions adaptées à cette arme.
4. M. U... et son passager ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel pour chasse non autorisée en réunion de nuit avec usage d'un véhicule et port d'arme.
5. Le tribunal les a déclarés coupables M. U... et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa troisième branche
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé sur l'action publique et sur l'action civile, alors « que la méconnaissance de l'obligation d'informer l'appelant, en début d'audience, du droit d'obtenir le renvoi de l'affaire à une formation collégiale de la chambre des appels correctionnels, lorsqu'il n'en a pas été avisé lors de la déclaration d'appel, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ; qu'en statuant à juge unique sur l'appel formé par M. U... le 21 mars 2019, soit antérieurement au décret du 24 mai 2019 prévoyant la modification du formulaire de la déclaration d'appel, quand il ne résulte ni de l'arrêt, ni des notes d'audience, que l'appelant aurait été informé de son droit d'obtenir lerenvoi de l'affaire à une formation collégiale, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel a violé les articles 16 de la Déclaration de 1789, 6, § 1er , de la Convention des droits de l'homme, préliminaire, 510, 592, 802 et D. 45-23 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Les dispositions de l'article 510, issues de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, sont applicables à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur au 1er juin 2019, s'agissant de dispositions fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure.
9. Il en résulte que lorsque le jugement attaqué a été rendu selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'article 398 ou selon celles prévues au troisième alinéa de l'article 464, la chambre des appels correctionnels est composée d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs confiés au président de chambre, sauf si l'appelant demande expressément que l'affaire soit examinée par une formation collégiale.
10. L'article D. 45-23 du code de procédure pénale précise que le président de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel doit, en début d'audience, informer la partie appelante de son droit de demander le renvoi de l'affaire à une formation collégiale, lorsque celle-ci n'a pu en être informée dans le formulaire de la déclaration d'appel.
11. Cependant, le demandeur ne saurait se faire un grief de ce qu'il n'a pas reçu cette information, dès lors qu'il était assisté de son avocat à l'audience du 10 octobre 2019.
12. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité et a, en conséquence, déclaré M. U... coupable de chasse non autorisée en réunion, de nuit, avec usage d'un véhicule et port d'arme et statué sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ qu'en retenant, pour rejeter l'exception de nullité, que « les agents del'office national de la chasse et de la faune sauvage étaient parfaitement compétents pour procéder à la fouille [du véhicule] sans l'assentiment du prévenu » (arrêt, p. 6, § 7), quand le pouvoir des inspecteurs de l'environnement de rechercher et constater, sans l'assentiment de la personne concernée, les infractions prévues par le code de l'environnement en quelque lieu qu'elles soient commises et de suivre les animaux irrégulièrement prélevés dans tous les lieux où ils ont été transportés ne comporte pas celui de procéder à la visite d'un véhicule, lequel est assimilé au domicile, sans l'assentiment du conducteur, la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention des droits de l'homme, préliminaire, 15, 78-2-3 du code de procédure pénale, L. 172-5, L. 172-6 et L. 428-29 du codede l'environnement ;
2 °/ qu'en toute hypothèse, en retenant, pour rejeter l'exception de nullité, que « les agents de l'office national de la chasse et de la faune sauvage étaient parfaitement compétents pour procéder à la fouille [du véhicule] sans l'assentiment du prévenu » (arrêt, p. 6, § 7), quand aucune disposition ne leur confère un pouvoir de perquisition autre que celui d'exiger l'ouverture des seuls carniers, sacs ou poches à gibier, la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention des droits de l'homme , préliminaire, 15, 78-2-3 du code de procédure pénale, L. 172-5, L. 172-6 et L. 428-29 du code de l'environnement. »
Réponse de la Cour
14. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel les agents de l'office national de la chasse et de la faune sauvage n'avaient pas compétence pour perquisitionner le véhicule contrôlé, l'arrêt attaqué énonce qu'au vu des dispositions de l'article 172-5 du code de l'environnement qui précisent les conditions dans lesquelles sont recherchées et constatées les infractions prévues par ce code, ces agents étaient compétents pour procéder, sans l'assentiment du prévenu, à la fouille du véhicule qui, contrairement à ce qu'il affirme, ne saurait être assimilé à un domicile.
15. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
16. En effet, la visite, sans l'assentiment de son occupant, par les inspecteurs de l'environnement affectés à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage devenu l'Office français de la biodiversité, d'un véhicule qui ne revêt pas un caractère professionnel et ne constitue pas un domicile échappe tant au régime d'information préalable du procureur de la République prévu par les alinéas 2 à 4 de l'article L. 172-5 du code de l'environnement, qu'à l'obligation de présence d'un officier de police judiciaire, prévue par le dernier alinéa de cet article.
17. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
18. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq janvier deux mille vingt et un.
20 / Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 5 janvier 2021, 20-80.972, Publié au bulletin -
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 5 janvier 2021, 20-80.972, Publié au bulletin
SENS DE LA DECISION : Rejet
MOTS CLES DE L'ARRET :
ANALYSE DE L'ARRET :
DECISION :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 20-80.972 F- P+B+I
N° 00003
EB25 JANVIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,DU 5 JANVIER 2021
La société Arcadie Sud Ouest a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, en date du 15 janvier 2020, qui, pour infraction au code de l'environnement, l'a condamnée à 100 000 euros d'amende dont 75 000 euros avec sursis.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Arcadie Sud Ouest, et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Une inspection de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations du Tarn-et-Garonne effectuée le 7 avril 2016 a permis de constater que la société Arcadie Sud Ouest, spécialisée dans l'abattage, la découpe et la commercialisation de viande bovine, porcine et ovine, exerçait son activité avec un volume de produits entrants supérieur à deux tonnes par jour, correspondant à la rubrique 2221-B de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, laquelle impose, sous peine de délit, un régime d'enregistrement.
3. Cette société a été poursuivie pour exploitation d'une installation relevant du régime de l'enregistrement sans avoir effectué les démarches d'enregistrement.
4. Le tribunal correctionnel l'a déclarée coupable de ce chef.
5. La prévenue et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société Arcadie Sud Ouest coupable des faits qui lui étaient reprochés, à savoir l'exploitation par personne morale d'une installation classée pour la protection de l'environnement non enregistrée, commis du 1er janvier 2015 au 13 décembre 2016 à Montauban, et en répression, de l'avoir condamnée au paiement d'une amende de 100 000 euros dont 75 000 euros avec sursis, alors « que les dispositions pénales nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ; qu'en l'espèce, la société Arcadie Sud Ouest était poursuivie sur le fondement de l'article L. 173-1 du code de l'environnement, pour ne pas avoir procédé à l'enregistrement de son établissement de Montauban, alors que la « quantité de produits entrant » était supérieure au seuil de 2 tonnes par jour prévu à l'annexe 3 à l'article R. 511-9 du code de l'environnement, dans sa version applicable au moment des faits, à partir duquel une installation classée était soumise à obligation d'enregistrement ; que toutefois, à la suite de sa modification résultant de l'article 1er du décret n°2017-1595 du 21 novembre 2017, l'annexe 3 à l'article R. 511-9 du code de l'environnement n'imposait plus l'enregistrement que pour les installations dont la quantité de produits entrant était égale ou supérieure à 4 tonnes par jour, les installations ayant une quantité de produits entrant comprise entre 500 kg et 4 tonnes n'étant plus soumises qu'à obligation de déclaration ; que pour néanmoins retenir la société Arcadie Sud Ouest dans les liens de la prévention, la cour d'appel a retenu que la modification du droit applicable ne ressortait que d'un règlement, en l'espèce le décret du 21 novembre 2017, sans visée immédiatement pénale, et qu'en tout état de cause, les dispositions législatives des articles 173-1 et suivants du code de l'environnement, support légal de l'incrimination, demeuraient en vigueur au jour du prononcé de sa décision ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait des dispositions nouvelles de l'annexe 3 à l'article R. 511-9 du code de l'environnement, qui constituaient le support nécessaire de l'infraction poursuivie, dans sa rédaction en vigueur au jour où elle se prononçait, que l'installation litigieuse n'était plus soumise à enregistrement, de sorte que l'infraction en cause n'était plus constituée au jour du prononcé de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 112-1 du code pénal, ensemble l'article R. 511-9 du code de l'environnement (annexe 3), l'article 591 du code de procédure pénale, et l'article 7 § 1er de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
8. Pour déclarer la prévenue coupable d'exploitation d'une installation relevant du régime de l'enregistrement sans avoir effectué les démarches d'enregistrement, commise du 1er janvier 2015 au 13 décembre 2016, l'arrêt attaqué énonce que l'annexe 3 à l'article R. 511-9 du code de l'environnement, qui définit la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement et la taxe générale sur les activités polluantes, prévoyait, au moment des faits, que l'enregistrement de l'installation était requis dès lors que la production était supérieure à deux tonnes par jour. Il relève qu'un décret du 21 novembre 2017, toujours applicable, a porté ce taux à quatre tonnes, de sorte que, lorsque la production se trouve désormais comprise entre cinq cents kilogrammes et quatre tonnes par jour, seule une déclaration doit être effectuée.
9. Les juges ajoutent que si le principe constitutionnel et international de la loi pénale plus douce impose d'appliquer immédiatement celle-ci aux situations en cours, la modification du droit applicable ne ressort que des dispositions réglementaires dudit décret, lequel est dépourvu de visée immédiatement pénale, et qu'en tout état de cause, les dispositions législatives des articles 173-1 et suivants du code de l'environnement, support légal de l'incrimination, demeurent en vigueur au jour du prononcé de la décision.
10. Ils en concluent que la modification des seuils applicables est sans effet sur la réalité de l'infraction.
11. En l'état de ces énonciations, et dès lors que, d'une part, les faits ont été commis antérieurement à l'entrée en vigueur des modifications des dispositions réglementaires applicables, d'autre part, les dispositions législatives, support légal de l'incrimination, n'ont pas été modifiées, la cour d'appel a justifié sa décision.
12. Ainsi, le moyen doit être écarté.
13. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq janvier deux mille vingt et un.